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“Great Japanese Naval Victory off Haiyang Island” by Nakamura Shūkō, October 1894

L’ASEAN et les Etats-Unis en manœuvres navales communes. Une première !

Des manœuvres militaires et navales inédites ont eu lieu entre l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) et les Etats-Unis, entre les 2 et 7 septembre 2019. L’objectif était double. L’ASEAN montrait à cette occasion son indépendance vis-à-vis de la Chine. Et Washington signifiait que les États-Unis entendent rester un partenaire incontournable de l’Asie du Sud-est.

La flotte qui composait les manœuvres, avait pour origine le port de Pattaya, situé au nord du Golfe de Thaïlande, et s’est déployée dans le golfe mais aussi dans la Mer de Chine méridionale. Un total de huit navires de guerre, des avions de combats et un millier de soldats ont constitués les effectifs de ces exercices communs. Selon Phil Sawyer, commandant de la 7e flotte américaine, ces manœuvres permettraient aux pays participants de « travailler ensemble sur des priorités communes en matière de sécurité maritime dans la région ».

Ces opérations avaient été annoncées en août dernier par le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo qui, présent au dernier sommet de l’ASEAN, souhaitait y promouvoir la stratégie étasunienne d’ouverture de la zone indo-pacifique. A cette occasion, Pompeo souligna que les Etats-Unis ne demandaient pas à l’ASEAN de « choisir » entre les soutenir ou soutenir la Chine, reconnaissant la volonté de neutralité de l’organisation dans la région.

 

Des manœuvres militaires et navales inédites ont eu lieu entre l’ASEAN et les Etats-Unis. Les navires partent de la Thailande. Image : ©US Navy
Des manœuvres militaires et navales inédites ont eu lieu entre l’ASEAN et les Etats-Unis. Les navires partent de la Thailande. Image : ©US Navy
L’influence américaine dans le (mauvais) œil de Pékin

Alors que la guerre commerciale fait rage entre les Etats-Unis et la Chine, et que cette dernière poursuit sa volonté d’accroissement d’influence en Mer de Chine méridionale par une politique du fait accompli territorial — militarisation d’ilots — et de pression militaire sur ses voisins, l’ASEAN cherche à préserver son indépendance et à ménager ses différents leviers d’influence. La récente rencontre avec le secrétaire d’Etat américain, ainsi que l’organisation d’exercices militaires communs avec les Etats-Unis, vise à clamer cette indépendance à Pékin.

La Chine y voit, quant à elle, d’un mauvais œil ce qu’elle entend comme une « ingérence » étrangère d’un pays non régional en Asie du sud-est. Lors de la venue de Mike Pompeo au sommet de l’ASEAN, Wang Yi, le ministre chinois des Affaires Etrangères, avait alors affirmé : « Nous pensons que les pays non régionaux ne devraient pas amplifier délibérément les divergences issues du passé », ou encore que les pays étrangers ne devaient pas « semer la méfiance entre la Chine et les pays de l’ASEAN ».

Les démarches américaines sont ainsi clairement perçues par Pékin comme des incitations à une escalade des tensions et à un sapement du caractère régional de l’ASEAN. Ces remarques mettent en exergue la vision de la Chine vis-à-vis de l’organisation du sud-est asiatique : elle doit rester « régionale », et donc sous son influence directe.

L’ASEAN entre la Chine et les États-Unis

L’ASEAN, qui regroupe dix pays de l’Asie du sud-est, constitue la pierre angulaire de la zone stratégique définie depuis quelques années sous le terme de « indo-pacifique » ; notion géopolitique puisque l’idée même d’un espace commun et naturel entre l’Océan indien et l’Océan pacifique sous-entend qu’il devrait rester ouvert à la navigation libre.

 

La corvette anti-sous-marine n°18 de la classe Pohang (un cadeau de la Corée du Sud) de la Marine vietnamienne participe aux manœuvres navals.
La corvette anti-sous-marine n°18 de la classe Pohang (un cadeau de la Corée du Sud) de la Marine vietnamienne participe aux manœuvres navals.

Les États-Unis cherchent à contenir l’influence régionale de la Chine en donnant plus de moyens aux membres de l’ASEAN : ainsi, toujours en août dernier, Mike Pompeo a assuré les membres de l’organisation que son pays allait déverser 300 millions de dollars d’investissements dans la sécurité de l’Asie du sud-est.

Toutefois, l’effort américain de promouvoir une notion indo-pacifique promotrice d’une conscience opposée à l’influence chinoise ne rencontre pas un franc succès auprès des membres de l’ASEAN : pour exemple, Joko Widodo, Président de la République d’Indonésie, avait indiqué en avril 2018 qu’il ne concevait pas le concept d’indo-pacifique sans l’inclusion de la Chine. Des pays comme le Laos ou le Cambodge, économiquement et politiquement proches de Pékin, s’opposeront de même sans doute à l’émergence d’une représentation géopolitique qui viserait à isoler la Chine. Le Vietnam, à l’inverse, a fait le choix d’un rapprochement avec les Etats-Unis, l’Inde et le Japon.

Soucieux de maintenir de bonnes relations avec la Chine, pourtant perçue comme menaçante, et avec les Etats-Unis, malgré une perte de confiance dans leur volonté d’implication dans la région, l’ASEAN tente de ménager les deux grandes puissances et de ne pas prendre parti.

En effet, le retrait des Etats-Unis du TPP (Accord de partenariat transpacifique), effectué en 2017, a largement fragilisé la confiance des pays du sud-est asiatique envers l’implication de Washington. Dans ce contexte, la récente tournée de Mike Pompeo dans la région et l’organisation d’un exercice militaire commun peut aussi être interprété comme un message des Etats-Unis indiquant qu’un retrait du TPP ne signifie pas un retrait stratégique de la région.

L’ASEAN tente de se faire respecter par les grandes puissances

Pour l’ASEAN, l’objectif est de démontrer à la Chine que ses membres refusent à se penser comme une arrière-cour de Pékin. Le but de l’ASEAN n’est donc pas d’impressionner la Chine en brandissant l’avatar américain, mais bien de lui lancer un appel à être respecté comme un acteur régional dont l’indépendance ne peut être remise en question.

Car il est à rappeler que l’ASEAN avait, en octobre 2018, réalisé de premiers exercices militaires communs avec la Chine. Alors, l’organisation souhaitait démontrer à la Chine qu’elle n’appréhendait pas cette dernière comme une ennemie et prônait l’apaisement en Mer de Chine méridionale. Les exercices avec la Chine, puis avec les États-Unis, visent donc à se poser en région garante de stabilité entre les deux puissances.

En outre, la marine Birmane faisait elle-aussi partie des manœuvres de concert avec les Etats-Unis, alors même que ces derniers ont voté à l’encontre de la Birmanie des sanctions liées à sa politique envers les Rohingyas. Une telle décision implique une nette volonté de Washington de préserver la Birmanie de toute tentation de prisme chinois, alors qu’une forte rivalité Inde-Chine est à l’œuvre dans le pays.

De son côté, la Chine doit compter avec l’ASEAN pour promouvoir ses nouvelles routes de la soie maritimes : en juillet 2019, au cours de la réunion des ministres des Affaires Etrangères Chine-ASEAN, le ministre chinois Wang Yi avait invité ses homologues à faire converger le projet OBOR (One Belt, One Road) au Plan directeur 2025 pour la connectivité (MPAC 2025) de l’ASEAN. Ce plan vise à approfondir le développement régional entre membres, et ceci notamment dans les infrastructures, l’innovation numérique et la logistique. La Chine avait alors mis en garde les pays de l’ASEAN contre toute politique unilatéraliste.

A la fois tributaire de l’économie chinoise et désireuse d’affirmer son indépendance grâce à la présence américaine, l’ASEAN se voit donc dans la nécessité de ménager à la fois la Chine et les Etats-Unis. Du fait de sa double dépendance et des membres aux diverses inclinations géopolitiques qui la composent, il est à prévoir que l’ASEAN fera ainsi tout son possible pour perpétuer sa réputation de neutralité dans la région.

Robin Terrasse

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Image de la Une : “Great Japanese Naval Victory off Haiyang Island” par Nakamura Shūkō, Octobre 1894 pendant la guerre sino-japonaise.

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