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Nouvelle route de la soie Chine

La route de la soie : Armature d’un nouveau monde. Une tribune de Jean-Pierre Raffarin

En Europe nous ne prenons pas suffisamment au sérieux le projet « one road, one belt ».

Marguerite Yourcenar faisait rêver l’empereur Hadrien sur la puissance des marchands.

L’histoire de la route de la soie a nourri notre imaginaire.

Aujourd’hui la Chine parle réalité et l’Europe se limite à la curiosité.

Le Président Xi Jinping a lancé ce projet en surprenant le monde. Ce n’était en rien une improvisation mais comme souvent en Chine l’idée s’est imposée après une profonde réflexion stratégique. Plusieurs livres décrivent précisément l’ambition.

Ce projet allie une stratégie et des outils. La stratégie s’articule autour de trois priorités.

Le grand marché « Europe-Asie-Afrique » doit devenir une communauté d’intérêts.

La Chine recherche de grands marchés pour ses surcapacités industrielles. Les gains marginaux de la mondialisation s’amenuisent, il faut donner à la croissance un nouvel élan. En Asie ce nouveau souffle porte un nom : la connectivité. En aidant les 65 pays concernés à développer leurs infrastructures de communication, hard et soft, la Chine renforce son ouverture et sa « montée en gamme ».

Simultanément elle assure l’internationalisation de sa monnaie et à terme favorise la transformation de sa croissance avec des objectifs plus qualitatifs et plus inclusifs. Cette stratégie signifie  le passage du « made in China » au « built by China ».

Dans cette vision la coopération avec l’Europe, sur ses deux ailes, l’Eurasie et l’Eurafrique, pourrait permettre à l’Union européenne d’atteindre ses objectifs de croissance et de création d’emplois.

Ce grand ensemble géostratégique doit devenir « une communauté d’intérêt, de responsabilité et de destin commun ». L’Europe est très en retard dans cette réflexion stratégique. Le manque d’ambition de la communication de la Commission en juillet dernier le prouve.

Le Premier Ministre Chinois Li Keqiang le répète volontiers : « aujourd’hui aucune nation ne peut réussir seule ». Il faut donc inventer des projets internationaux et fédérateurs.

La perspective s’annonce, délibérément pacifique.

Les vieilles pratiques de l’Occident qui consistent à imposer sa suprématie ne sont plus dans l’air du temps. La mondialisation occidentalo-américaine a favorisé les territoires urbains (vs ruraux), les zones maritimes (vs continentales), et en général l’Ouest plus que l’Est. L’idée chinoise est « le global rebalancing ».

Les nouvelles dynamiques se lèvent à l’est.

L’analyse chinoise fait réfléchir. Hier l’Est était l’endroit où les choses naissaient et l’Ouest le lieu de leur maturité. L’Asie affirme aujourd’hui qu’elle est à l’initiative des mouvements structurants par ses réformes et son ouverture. Mais du point de vue Chinois, ce n’est l’intérêt de personne que l’Europe s’immobilise ou prenne du retard.

La dynamique asiatique doit se prolonger jusqu’en Europe. On n’oublie pas à l’Est que « Those who have Europe, have the world ». Cet intérêt est d’autant plus pertinent que l’Amérique se tourne aujourd’hui vers le Pacifique et ignore quelque peu l’Europe. L’Eurasie c’est la future force d’équilibre du monde. Dans ce nouveau paradigme, l’Europe peut retrouver une opportunité historique de se replacer au centre du monde. La relation transatlantique serait alors à redessiner ?

Il nous faudrait alors discuter avec les Chinois notamment du périmètre de leurs études. En effet les territoires de l’est sont privilégiés, en Europe (16 pays) et en Afrique (2 ou 3). L’arc atlantique euro-africain est marginalisé.

Le développement est aussi affaire de civilisation.

Pour les Chinois, à l’Ouest, la mondialisation a déclenché une vive compétition en partie destructrice. Ils constatent des reculs civilisationnels avec la montée de l’individualisme et des comportements, jugés irrationnels. Il est vrai que notre démocratie semble prendre goût à surprendre le monde (montée des populismes campagne américaine, Brexit…)

Dans ce contexte les Chinois pensent,  qu’on ne s’intéresse plus assez à la nature commune de l’humanité. Devant une certaine vacuité de la pensée occidentale ils sont préoccupés et ne comprennent pas l’inquiétude qu’inspire leur nouvelle influence fondée sur leur civilisation ancienne.

L’ensemble géopolitique de l’Eurasie marquée par les grandes civilisations d’Égypte, de Babylone, de la Grèce, de l’Inde, de la Chine… peut s’affirmer comme un espace de renaissance civilisationnelle. Les Océans doivent retrouver une place dans cette civilisation qui doit aussi être maritime. Les initiatives culturelles sur ce sujet foisonnent.

La deuxième édition d’un forum culturel, « la route de la soie, un chemin vers l’autre » aura lieu à Lyon en mars 2017.

Ces réflexions ancrées dans le XXIème siècle ne sont pas de simples spéculations intellectuelles.

Des moyens financiers considérables sont mobilisés et des outils multilatéraux sont construits pour doter cette stratégie nouvelle d’une nouvelle gouvernance. Ainsi la Banque asiatique d’infrastructure et d’investissement (AIIB), annoncée en 2013 par le Président Xi Jinping, dotée d’un capital supérieur à 100 milliards de dollars, rassemble déjà plus de 70 pays partenaires. Elle s’annonce comme un formidable levier de développement, un « plan Marshall » pour les pays d’Eurasie.  Cette initiative ajoutée à la « new development bank » pour les BRICS  ou au « Silk fund » démontre clairement que la Chine se donne les moyens de sa stratégie.

Au total, dans les cinq ans qui viennent la Chine importera dix milliards de milliards USD de marchandises (10 trillions!) et investira plus de 500 milliards de USD à l’étranger. Le rythme actuel est supérieur à la prévision du XIIIème plan. Pour la 1ere fois cette année, les investissements de la Chine à l’étranger ont été supérieurs aux investissements étrangers réalisés en Chine (145 milliards USD versus 135 milliards USD). Ajoutons à tout cela que plus de 500 millions de touristes chinois vont parcourir le monde.

La France suit ces initiatives avec intérêt voire bienveillance, elle doit cependant prendre davantage conscience que cette nouvelle donne mondiale concerne directement ses intérêts et ses alliances. Il est grand temps que s’accélère la mise en mouvement de nos réponses et de nos projets. Ce débat stratégique nous interroge au plus haut point.


Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre français de 2002 à 2005 sous la présidence de M. Jacques Chirac. M. Raffarin est aujourd’hui sénateur de la Vienne, président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat.


Commentaires de la rédaction :

Nous reproduisons ici une tribune de l’ancien premier ministre français Jean-Pierre Raffarin, aujourd’hui sénateur de la Vienne. Tribune titrée « La route de la soie : Armature d’un nouveau monde » publiée le 4 novembre 2016 sur son blog officiel « Le carnet de Jean-Pierre Raffarin » qui fait le chantre — naïf voire aveugle — de la nouvelle « route de la soie » que nous aurions pu ajouter « chinoise ».

Il s’agit d’un projet ambitieux et stratégique de la Chine qui devrait permettre à l’Empire du Milieu de devenir la « Terre du Milieu ». Une future/nouvelle puissance mondiale au moins égale à la position des États-Unis voire plus. L’ambition de la Chine est normale et noble. Comme celle de n’importe quel autre pays du monde. Et, plus que jamais, avec un Donald Trump, le nouveau président des Etats-Unis, qui annonce l’abandon prochain du partenariat transpacifique (TPP), la Chine se pose désormais en élément moteur du développement de la région pacifique et au-delà.

L’émergence de nouveaux pôles de puissances participe au rééquilibrage utile des forces. Parce qu’une puissance monolithique, sans chalengeur, n’est jamais une bonne chose.

L’initiale « Route de la soie » s’appelle désormais « Une route, une ceinture » combinant les voies terrestres — y inclues ferroviaires — et aussi maritimes. Le projet apportera t-il des bénéfices en infrastructure aux pays partenaires ? Serait-il « pacifique » attaché aux volontés du codéveloppement comme affirme Pékin ? L’avenir nous en dira. Mais, gardons nos esprits critiques. Le projet chinois n’est pas qu’économique. Il comprend aussi les volets diplomatique, géopolitique et de défense. Jusqu’aujourd’hui, les investissements chinois — en infrastructures, en industries polluantes et essentiellement en exploitation des matières premières — en Afrique et ailleurs s’apparentent plus à une OPA, à une nouvelle forme de l’impérialisme voire du colonialisme qu’un développement durable et respectueux ! La question à se poser : le monde veut-il le modèle chinois ?

© Vo Trung Dung

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