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Transport maritime : l’Arctique, nouvelle route de la soie. Par Yo-Jung Chen

Le réchauffement climatique fait fondre les glaces polaires, grignote le territoire des ours polaires. C’est un catastrophe pour la planète mais il rendra heureux les transporteurs maritimes. Moins de glace polaire égale plus de surface marine pour la navigation. Ainsi, l’Arctique est en train de devenir une nouvelle « route de la soie », un nouvel eldorado du transport maritime mondial, qui permettra de raccourcir la distance jusqu’à 50%. Un eldorado de glace où la Chine se posera en grand chalengeur des acteurs historiques comme la Russie, les Etats-Unis, le Canada et les pays scandinaves.

La Mer de Chine méridionale connaît ces dernières années une tension croissante dans le contexte d’une tentative agressive chinoise d’y établir sa souveraineté. Cette tension a pour résultat de rappeler l’importance vitale de libre passage de la route maritime, dont fait partie cette mer, pour la communauté internationale mais surtout pour les pays d’Asie de l’Est — Japon, Chine, Corée, Taïwan — dont l’approvisionnement en ressources énergétiques et autres transactions commerciales avec l’Europe dépendent de cette route.

Cette « route du Sud » s’étend du Japon — et Corée — et passe par la Mer de Chine d’Est, la Mer de Chine méridionale, l’Océan Indien, le Golfe Persique, la Mer Rouge, et le Canal du Suez pour arriver à la Méditerranée. Tout en étant d’une importance vitale pour la survie énergétique et économique des pays de l’Asie de l’Est, elle est cependant constamment exposée aux menaces d’instabilités politiques, de conflits et de piraterie.

C’est dans ce contexte que depuis plus d’une décennie, la région de l’Arctique fait l’objet d’une attention croissante pour le potentiel qu’elle offre d’une nouvelle route maritime plus lucrative que les routes traditionnelles du Sud.

Si le réchauffement climatique est connu avant tout pour ses effets néfastes sur l’environnement planétaire, il compte en revanche un rare effet bénéfique dans ce que, grâce à la fonte progressive des glaces polaires, il ouvre la possibilité de la navigation dans l’Océan Arctique en été.

Dans le cas des transports entre l’Extrême-Orient et l’Europe, la nouvelle route polaire, une fois établie, offrira des avantages économiques considérables par rapport aux routes traditionnelles « du Sud » passant par le Canal du Suez ou le Canal du Panama. Par exemple, le trajet entre Yokohama et Rotterdam, qui est de 20 742 km par le Canal du Suez, sera réduit à 12 038 km en empruntant la route polaire dite « Passage Nord-Est » en longeant la côte russe, soit une économie non négligeable de 8 700 km. De même, selon Adam Minter de l’agence de presse économique Bloomberg, un trajet Shanghai-Rotterdam par le « Passage Nord-Ouest » le long de la côte canadienne, devrait permettre une économie de 3 400 km par rapport au passage par le Canal du Panama.

Cette réduction drastique de la distance donnera lieu à une économie considérable en terme de durée de voyage, de carburant consommé, de coût de transports, d’allocations aux marins, etc. sans parler de moins de pollution de l’environnement grâce à la moindre consommation de carburant.

Plusieurs pays, à commencer par les riverains de l’Océan Arctique comme le Canada, la Russie, les Etats-Unis et les pays scandinaves, ont entamé avec plus ou moins de succès l’exploration de routes maritimes passant par l’Arctique. Dans ce domaine, ils rencontrent une forte concurrence de la Chine qui dispose d’une flotte de brise-glaces plus modernes même que ceux des Etats-Unis. De plus, étant une puissance mercantile, la deuxième économie du monde est plus que motivée pour s’assurer d’une position dominante dans cette nouvelle « route de la soie » maritime reliant l’Asie au reste du monde.

Bien entendu, la simple possibilité technique de naviguer dans le Cercle polaire arctique ne signifie pas tout de suite sa praticabilité commerciale. Malgré la diminution progressive des glaces, les conditions climatiques demeurent précaires dans cette région et le concours de brise-glaces est encore nécessaire sur une grande partie de cette mer, même en été.

Cette incertitude climatique et cette limitation saisonnière ne sont pas du goût des transporteurs internationaux pour qui la régularité et la ponctualité de services sont règles d’or. Elles ne plaisent pas non plus aux assureurs qui exigent des primes exorbitantes pour ce qu’ils voient encore comme des « aventures » polaires. Par ailleurs, d’énormes investissements seront nécessaires pour la mise au niveau des installations portuaires obsolètes le long de cette route, que ce soit par les côtes canadiennes ou russes.

Ceci dit, le volume de trafic dans ce passage du Nord accuse une augmentation plus ou moins stable. Selon une étude du Professeur Joseph Liow de Singapour, le nombre de navires ayant emprunté les passages arctiques Nord-Est et Nord-Ouest est passé de quatre en 2010 à trente-quatre en 2011, quarante-six en 2012, soixante-dix en 2013 et trente et un en 2015. En 2010, un gros pétrolier partant de la Norvège a réussi à passer par cette route pour arriver au Japon. Mais bien entendu, ce volume de circulation est encore loin d’être comparable aux 18 000 navires empruntant le Canal de Suez et aux 13 874 passant par le Canal du Panama chaque année.

Conseil de l’Arctique

L’ouverture progressive de l’Arctique à la navigation et au développement de ressources naturelles intéresse en premier lieu les pays riverains, à savoir le Canada et la Russie qui, tout deux, tentent de défendre leur souveraineté territoriale et intérêts économiques dans cette région pourtant jusqu’ici ignorée du reste du monde.

C’est dire que la fonte des glaces a suscité une concurrence internationale non seulement pour le développement d’une nouvelle route maritime commerciale lucrative mais aussi visant les riches gisements de ressources au fond de l’Océan Arctique. C’est dans le but de coordonner cette nouvelle ruée vers l’or et éviter des concurrences sauvages qu’un Conseil de l’Arctique regroupant les huit pays directement concernés — Canada, Russie, Etats-Unis, Norvège, Finlande, Islande, Norvège, Suède — a été mis en place. Y participent avec statut d’observateur des pays européens — dont la France —, le Japon, la Chine, la Corée du Sud, Singapour et l’Inde.

L’envergure colossale des intérêts économiques que promet la région de l’Arctique suscite déjà une lutte d’influence entre les Etats membres du Conseil. Moscou par exemple exige que tous les navires empruntant le Passage Nord-Est (Asie-Europe) le long de sa côte polaire soient escortés par des brise-glaces russes. Par ailleurs, les Etats-Unis contestent la revendication territoriale du Canada pour le Passage Nord-Ouest, insistant sur le droit de libre circulation internationale.

La Chine fait l’objet d’une certaine préoccupation parmi les Etats intéressés. Ces derniers voient d’un œil suspect l’agressivité avec laquelle la deuxième économie du monde pousse pour le développement de la nouvelle « route de la soie » polaire et pour s’approprier des profitables projets de développement de l’infrastructure portuaire et énergétique dans la région arctique. Pékin profite de l’isolation de la Russie suite aux sanctions occidentales prises dans la crise de l’Ukraine et de la Crimée, pour offrir sa coopération dans les méga-projets prévus dans la région arctique russe. Son rapprochement économique rapide avec Islande n’inspire pas la confiance non plus des autres Etats.

Pour le moment, la Chine, la plus systématiquement impliquée, semble détenir une considérable longueur d’avance sur les autres pays en matière de développement d’une nouvelle route maritime polaire. Cette confiance a conduit l’Institut des Recherches Arctiques de Chine à estimer cette année que d’ici 2020, de 5 à 15% du commerce international chinois passeront par le Passage Nord-Est de l’Arctique qui longe la côte russe. Là encore, le récent rapprochement politique entre la Chine et la Russie joue à l’avantage des Chinois.

Singapour au Conseil de l’Arctique ?

La présence de Singapour, pays tropical sous l’Equateur, au Conseil de l’Arctique, même s’il s’agit de simple statut d’observateur, mérite une explication particulière.

Il faut nous rappeler que depuis le début du commerce Est-Ouest, le Détroit de Malacca où se situe Singapour a toujours été un hub, une escale incontournable pour les navires voyageant entre l’Asie et l’Europe. La jeune cité-Etat doit sa formidable prospérité à cette position géographique particulièrement privilégiée.

Or, le réchauffement climatique aidant, si la nouvelle route maritime polaire se confirme techniquement et commercialement non seulement praticable mais plus profitable pour les transporteurs que la route traditionnelle du Sud, cela signifierait pour Singapour la fin aussi bien de sa prospérité que de sa raison d’être. Une crise nationale potentielle.

On n’en est pas encore là. Mais il y a intérêt pour Singapour de s’y préparer en ayant une place au Conseil de l’Arctique. A long terme, il s’agit de parer à la survie nationale en y surveillant l’évolution de la situation concernant la nouvelle route maritime polaire. A plus court terme cependant, son souci est de guetter l’opportunité pour les entreprises singapouriennes d’avoir une part du marché des projets géants que la fonte des glaces permet d’espérer dans l’Arctique, que ce soit pour la mise en valeur de ressources énergétiques de l’Arctique ou pour la modernisation d’installations portuaires de cette région.

Quoi qu’il en soit, dans tous les sens du terme, la température monte dans l’Arctique…


Yo-Jung Chen est un ancien diplomate français à la retraite. Né à Taïwan, il a fait ses études supérieures au Japon avant de devenir citoyen puis diplomate français. Il a été en poste à Tokyo, Los Angeles, San Francisco, Singapour et Pékin.


 

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