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Paris : Manifestation pro-démocratique hongkongaise. Crédit © Pham Quang

Manifestations à Hong Kong, un entretien avec le sénateur André Gattolin

Le 28 septembre à Paris, près de 150 personnes se sont réunies place Saint-Michel pour un rassemblement en solidarité avec le mouvement démocratique hongkongais. Parmi les personnalités présentes, le sénateur des Hauts de Seine (LREM), André Gattolin, qui tenait à afficher publiquement son soutien aux manifestations à Hong Kong.

Dans un entretien accordé à notre journal, André Gattolin revient sur les enjeux — à Hong Kong — de la question des libertés au sein de l’ex-colonie britannique et souligne leur résonance avec les problématiques diplomatiques et géopolitiques qui affectent actuellement les relations franco-chinoises. « Nous devons nous élever systématiquement contre la dérive autoritaire que connaît la Chine » souligne t-il.

Paris : Manifestation pro-démocratique hongkongaise. Crédit © Pham Quang
Paris : Manifestation pro-démocratique hongkongaise. Crédit © Pham Quang

 

Asie Pacifique News : Pourriez-vous nous expliquer la raison de votre présence à ce rassemblement en soutien au mouvement démocratique hongkongais ?

André Gattolin : Pour moi, il s’agit d’une évidence. Je suis un sénateur français, mais je suis un sénateur qui s’intéresse à la situation globale dans le monde.

Avant d’être sénateur, c’est-à-dire avant 2011, j’ai été un militant très engagé des droits de l’homme à l’échelle internationale. J’ai toujours eu un intérêt particulier pour les droits de l’homme en Asie parce que c’est le grand continent émergent, où la culture, le passé démocratique est très faible.

Et si cette partie du monde, qui devient croissante et de plus en plus influente, passe à côté de la démocratie, si on n’est pas là pour aider l’État de droit ou les tentatives d’État de droit, et bien, nous manquons à nos responsabilités. Pas en tant que pays fondateur des droits de l’homme, mais en tant que continent européen où les expériences démocratiques se sont multipliées pour arriver à des situations globalement très démocratiques.

On ne fait pas ça simplement que par solidarité ou générosité : je pense que ce qui se passe en Asie aujourd’hui, avec la globalisation sur le plan politique économique et culturel, influe de plus en plus directement sur notre vie en Europe, en France, en région parisienne.

Souvent, on me dit que tu as des engagements lointains. Que tu ne te préoccupes pas de tes électeurs. Je pense à l’avenir qu’ils auront demain et à l’avenir qu’auront leurs enfants.

Et si on sent qu’à un moment les choses ne vont pas bien dans le monde, que les équilibres, la stabilité que nous avions trouvés depuis quelques décennies venaient à être renversés, et bien, l’Europe, la France ne seraient pas préservées. Elles pourraient elles aussi subir un glissement autoritaire et des formes contestables de gouvernance.

Que peut concrètement faire la France pour la situation à Hong Kong ?

Ce que peuvent faire les Français -et les parlementaires, leurs représentants- c’est se mobiliser aux côtés du peuple hongkongais. Et aussi de voir comment à travers le droit, les relations que nous avons construites avec la Chine et Hong Kong, on peut trouver des moyens de faire changer la situation ou de revenir à un État plus démocratique.

Je pense notamment que nous avons signé il y a quelques années un accord d’extradition entre la France et la Chine. La France a joué le jeu par rapport aux demandes chinoises. La Chine n’a jamais joué le jeu. Le statut des extraditions concernant Hong Kong est totalement opaque, peu explicite dans ce traité.

Moi, j’aimerais que la France — y compris la majorité à laquelle j’appartiens — remette en cause les conditions de ce traité. Déjà la non-exécution parallèle : nous avons à la demande du gouvernement chinois extradé des gens coupables de crimes. Nous avons de notre côté demandé des extraditions de personnes qui se livraient à la fraude massive bancaire que nous n’avons jamais obtenue. Maintenant, je ne voudrais pas que ce traité serve demain à demander l’extradition de Hongkongais qui seraient venus se réfugier en France. Sous prétexte qu’on aurait inventé un dossier de fraude économique ou autre pour les éliminer.

On pourrait dire que le traité est inopérant. Naturellement, nous avons toujours peur de rétorsions, mais nous sommes aussi en mesure de répondre par des mesures de rétorsion. On dit souvent que la Chine est très importante pour l’économie française. Mais nous importons des biens beaucoup plus de la Chine que nous exportons vers elle. C’est d’ailleurs ce que le président Donald Trump a compris, c’est qu’à un moment cela déstabilise les relations commerciales mondiales.

Il faut rappeler à un partenaire commercial trop arrogant la vraie nature de la relation :  l’Europe est déficitaire dans sa balance commerciale avec la Chine. Même s’il y a de gros contrats d’exportation, la Chine peut se développer parce que nous achetons aux Chinois plus que sur ce que nous lui vendons. Il faudrait rétablir le rapport de force : la Chine tend à nous imposer le sien, ce qui est assez abscons et surtout forcé.

Moi, ce que je veux c’est que les conditions des relations et des accords diplomatiques entre nos deux pays soient équilibrées. Et au-delà que nous commencions, comme ont déjà débuté à le faire les États-Unis à l’initiative du Congrès, à poser des questions de réciprocité politique. Que les observateurs occidentaux puissent circuler sur le territoire chinois, y compris dans les zones difficiles, de la même manière que les représentants chinois se promènent dans l’ensemble de l’Europe : ils peuvent faire du lobbying auprès de nos instances parlementaires et de nos représentations économiques alors que la réciproque n’est pas vraie. On ne peut pas commercer équitablement avec des pays qui n’appliquent pas cette forme de réciprocité. Il faut que notre droit en France et plus particulièrement en Europe pose ces questions de réciprocité. Et aussi, le plus que l’on peut, porter des exigences sur le respect des droits de la personne et les libertés fondamentales.

Bien évidemment, on ne peut pas dire ceci à la Chine : nous n’allons plus rien faire avec vous tant que vous ne serez pas devenu une démocratie.

Mais en tout cas, nous devons nous élever systématiquement contre la dérive autoritaire de ce pays. On ne peut pas dire que ce n’était pas un pays qui n’était pas autoritaire, mais on se rend compte qu’il devient de plus en plus centralisé, qu’il réprime au fur à mesure de son développement économique : dès qu’on voit apparaître des formes d’expressions différentes religieuses, régionales culturelles, politiques, il y a une volonté d’écrasement systématique.

Je crois que la Chine en réprimant Hong Kong se tire une balle dans le pied. Parce que Hong Kong est sa grande ouverture sur les marchés financiers internationaux. C’est la 3e place financière mondiale. Il n’y a pas une entreprise chinoise qui ne peut obtenir des financements internationaux sans entrer en bourse à Hong Kong.

D’ailleurs depuis que les événements ont commencé, pas moins de six grandes entreprises ont dû reporter sine die leur entrée en bourse à Hong Kong. Si les entreprises chinoises veulent être crédibles – y compris dans le respect des contrats engagés- cela ne peut pas se faire sans cet espace de liberté que représente Hong Kong.

Existe-t-il une position européenne vis-à-vis de la situation à Hong Kong ?

Il y a aujourd’hui une mobilisation qui s’opère à travers les parlementaires européens qui sont très sensibles dans leur ensemble à la question des droits de l’homme et contre la répression. Malheureusement, il n’y a pas pour l’instant de positif à l’échelon des instances exécutives, car la Commission européenne est en cours de renouvellement.

Et malheureusement, au sein de l’UE nous avons de plus en plus d’États membres qui passent des accords économiques privilégiés avec le gouvernement de la Chine populaire, comme la Grèce, l’Italie avec le gouvernement de Salvini, mais aussi le Portugal. Je redoute que nous n’ayons pas une unanimité en UE.

Il n’empêche qu’à un niveau pluri-États, comme la France, l’Allemagne, l’Espagne, et pourquoi pas la Grande-Bretagne, adoptaient de manière commune des positions fermes, ça aurait un sens.

Il est trop facile de dire que nous ne pouvons rien faire parce que nous n’avons pas l’unanimité et que certains membres ne sont pas d’accord. Ce qu’on ne peut pas faire à l’échelle de l’UE parfois on peut le faire avec plusieurs groupes de pays puissants et influents comme la France et l’Allemagne notamment.

Une banque française, BNP Paribas, a dernièrement été la cible de pressions directement liées aux manifestations à Hong Kong. Un de ses employés hongkongais a dû même démissionner en raison de sa prise de position en faveur du mouvement de contestation. Comment la France peut-elle protéger ses entreprises vis-à-vis de ce genre de pressions ?

Je pense que c’est déjà aux entreprises elles-mêmes de se protéger. Parce que, si elles ne protègent pas leurs employés dans ces situations qui de manière légitime prennent des positions, et bien demain elles n’auront plus que des mercenaires et non des gens compétents qui accepteront d’aller à Hong Kong.

Quand le gouvernement chinois s’est rendu compte que plus aucun grand cadre international ne voulait venir s’installer à Pékin en raison du taux de pollution énorme, la Chine s’est dit tout d’un coup qu’il faut faire la transition écologique, qu’il faut lutter contre la pollution. Pourquoi ? Bien sûr, pour protéger ses citoyens et les coûts que ça engendre. Mais aussi parce que l’attractivité de Pékin auprès des partenaires étrangers, notamment économiques, était en train de s’effondrer.

De la même manière, c’est aussi aux entreprises françaises d’avoir parfois le courage de dire : attention si vous voulez que BNP Paribas participe au système de financement des grands projets économiques chinois, il faut garantir des libertés et les respecter.

Ou sinon les entreprises chinoises feront moins d’argent : le marché chinois ne rapporte pas tant que ça aux banques françaises et profite surtout à l’économie de la Chine. Aujourd’hui, cette économie est d’ailleurs spéculative :  les régions et les autorités administratives des villes sont surendettées, à hauteur de pratiquement 300% du PIB.

Tout cela ne tient que parce qu’il existe de grands projets financés par des fonds misant sur la Chine et ses ambitions dans le monde. Si demain, les éléments de crédibilité, les conditions d’opérer ne sont plus réunis et bien la Chine perdra tout financement externe. Bien sûr, l’État central garde une grande partie du bénéfice qui est fait sur le commerce extérieur, mais on oublie cet endettement colossal que connaît la Chine. La Chine demain pourrait connaître un krach financier énorme, et ça, elle ne s’en remettra jamais.

La France a vendu des équipements antiémeutes au gouvernement hongkongais. En particulier, les canons à eau en usage au sein des forces de police à Hong Kong sont de fabrication française. Dans le contexte actuel, faut-il continuer à exporter de tels matériels ?

Pour Hong Kong, il ne s’agit pas de matériel militaire. On a des problèmes plus sérieux avec l’Arabie saoudite où effectivement des équipements militaires français sont utilisés par ce pays dans le cadre de la guerre civile au Yémen. Pour les matériels qui peuvent paraître comme des instruments de maintien de l’ordre -quand l’ordre légal est menacé- il ne devrait pas avoir de raisons de les interdire.

Là, il y a un retournement : un ordre illégal est en train de se mettre en place à Hong Kong puisqu’il ne respecte pas les accords de rétrocession de 1984.

Je pense en conséquence que clairement la France doit suspendre toute vente de cette nature au gouvernement chinois et aux autorités hongkongaises.

Par Pham Quang

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