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2018 © Takashi Murakami — "The lion of the kingdom that transcends death.

Coronavirus : le Japon lance sa science dans la course contre la pandémie

À l’échelle mondiale, une course thérapeutique et commerciale contre la montre pour éteindre l’épidémie de COVID-19 s’est engagée. Parmi les puissances scientifiques, le Japon se distingue par sa maitrise des technologies médicales et pharmaceutiques et par ses industries à haute performante.  L’archipel vient de mettre au point un test rapide de coronavirus et offre un médicament — Avigan — le plus prometteur pour le moment — toutefois encore en essai clinique sur un nombre limité de malades.

Les chercheurs japonais de l’université de Nagasaki, de l’Institut national des maladies infectieuses (NIID) et de la compagnie Canon Medical Systems ont mis au point un kit de test pour le nouveau coronavirus — SARS-CoV-2 — qui fournit des résultats en 10 minutes. C’est bien plus rapide que les méthodes de test standard employant les techniques de la réaction en chaîne par polymérase après la « transcriptase inverse » (ou rétrotranscriptase) pour la détection de l’ARN viral (RT-PCR) ou par des tests à base d’anticorps ELISA pour la détection des protéines du virion. Cette équipe de recherche a déjà mis au point et commercialisé des kits de diagnostic pour les virus Ebola et Zika.

Les tests cliniques, sur un échantillon plus grand de malades, ont commencé le 18 mars 2020 dans la préfecture de Nagasaki, qui a signalé son premier cas de COVID-19. Le test japonais part d’un échantillon prélevé sur le nez ou la gorge d’un patient. Il réalise de nombreuses copies de tout matériau génétique du virus — dont le profil est maintenant connu — qui pourrait être présent. Il utilise ensuite un colorant fluorescent pour le rendre visible aux scientifiques. Ce kit nécessite moins de temps pour copier le matériau viral à un niveau détectable que dans les tests standard de réaction en chaîne par polymérase.

Le nouveau test prend environ 40 minutes du début à la fin, y compris le prétraitement des échantillons. Une unité peut vérifier près de 700 échantillons par jour si elle fonctionne 24 heures sur 24. Le système est portable et ne pèse qu’environ 2,4 kg. L’université de Nagasaki prévoit de distribuer les kits aux hôpitaux universitaires et autres institutions médicales. Ce test a été développé dans le cadre d’un projet mené par l’Agence japonaise pour la recherche et le développement médical.

Pourquoi le Japon a-t-il testé si peu de personnes ?

Aujourd’hui, de Pékin à Rome en passant par Washington, les débats d’experts butent sur une question : faut-il tester en masse les malades ? Quand les experts cherchent à suivre la propagation de la maladie, les citoyens veulent un diagnostic rapide.

Tokyo, un vendredi, il est 16 heures, une certaine sérénité règne. Les Japonais déambulent dans les rues commerçantes, se rendent aux parcs où les cerisiers sont en fleurs, où le soleil est printanier. Les trois-quart portent des masquent, mais plus pour se protéger des pollens que du coronavirus.

Dans le club des pays avancés, le Japon est celui où, les cas de contamination progressant le plus lentement. On note 1.100 malades et 41 décès pour 127 millions d’habitants. Des chiffres (mis à jour du 23 mars 2020) plutôt faibles quand on exclut les cas du paquebot Diamond-Princess qui étaient en quarantaine dans le port de Yokohama. Hokkaido, une des régions les plus durement touchées au début février 2020, vient de mettre fin à l’état d’urgence. A Osaka, une autre grande ville du Japon, les autorités recommandent seulement aux habitants de limiter les sorties.

L’approche relativement modérée du Japon en matière de dépistage du nouveau coronavirus a engendré la frustration du public, d’autant plus que la Corée du Sud, pays voisin, fait un énorme effort en matière de tests. Prévoyant et réactif, Séoul a mis toutes les industries médicales au sens large à contribution dès l’apparition des premiers cas de contamination.

Alors pourquoi le Japon a-t-il pris la voie qu’il a choisie ? Non pas parce que ses capacités de test font défaut, mais parce que les experts japonais, qui tentent de récolter le plus de données épidémiologiques possible, ont une perspective fondamentalement différente de celle des citoyens qui veulent une solution thérapeutique immédiate.

Pour M. Takaji Wakita, directeur de l’Institut national des maladies infectieuses (NIID) : « le Japon a effectué toujours si peu de tests parce que le ministère de la Santé, du Travail et de la Protection sociale avait initialement choisi le test PCR non pas comme une procédure de traitement, mais pour une enquête épidémiologique visant le long terme afin de freiner la propagation de l’épidémie ! »

La détection précoce est souvent présentée comme la clé pour obtenir le meilleur résultat pour n’importe quelle maladie. Elle élargit les possibilités de traitement et le risque d’aggravation ou de décès diminue généralement. Mais cela n’est valable que lorsqu’il existe des remèdes. Pour les maladies qui en sont dépourvues, comme la COVID-19, la détection précoce ne conduit pas nécessairement à un traitement précoce. Les tests en eux-mêmes ont moins de valeur en termes strictement médicaux qu’on pourrait le penser.

Pourtant, alors que le Japon luttait, dès le début, pour contenir l’épidémie et que celle-ci se transformait en une pandémie à propagation rapide, la peur et le mécontentement ont éclaté parmi les Japonais, qui se sont demandé pourquoi le pays sous-estimait les tests.

La stratégie japonaise

Pour les scientifiques japonais, lorsqu’une nouvelle maladie infectieuse se déclare, une enquête épidémiologique doit être menée pour obtenir une « photographie » complète, y compris ses caractéristiques et sa propagation. L’enquête examine l’état de santé des personnes infectées, de celles qui ont été en contact étroit avec elles et de celles qui sont soupçonnées d’être infectées. Elle diffère de la pratique médicale — la thérapie — qui consiste à tester et à traiter chaque patient. L’accent est mis sur la protection de la société dans son ensemble, notamment par l’étude des mesures de prévention de l’infection.

Le NIID a choisi, dès le départ de l’épidémie, la méthode de détection de l’ARN viral (RT-PCR), pourtant très lente, car il craignait que si les entreprises du secteur privé commençaient à effectuer des tests avec les kits disponibles des Laboratoires Roche, les différences de qualité des tests auraient rendu la collecte de données imprécises. Or la précision est vitale pour la recherche épidémiologique.

Après l’annonce que la Corée du Sud, en février, effectuait des milliers de tests « RT-PCR » par jour, le public japonais s’est mis à se méfier des stratégies du ministère de la Santé et du NIID, qu’il soupçonnait de vouloir rendre la situation moins grave en limitant les tests. Sous une pression politique croissante, le ministère a décidé de changer son approche, en traitant davantage les tests comme un ensemble thérapeutique.

Au Japon, environ 80 % des personnes infectées par le nouveau coronavirus se rétablissent sans développer de symptômes graves. Les patients présentant des symptômes de pneumonie, quant à eux, doivent être testés rapidement, selon les médecins. Entre la science et l’opinion publique, les chercheurs soulignent qu’il faut éviter les tests simplement pour rassurer les patients qu’ils n’aient pas la COVID-19. Mettre les tests à la disposition de tout le monde risque d’épuiser les ressources médicales pour sauver ceux qui ont besoin de soins urgents.

Le début d’un remède : Avigan de la filiale médicale de Fujifilm

Si les traitements existants contre la grippe et le VIH sont prometteurs, ils peuvent avoir d’importants effets secondaires. Faute de mieux, les experts médicaux se tournent vers ces traitements existants contre la grippe, l’Ebola et d’autres maladies pour sauver les patients de la pandémie qui se propage, dans un contexte de pression mondiale pour développer un remède contre le nouveau coronavirus.

Le gouvernement chinois a annoncé mardi que le favipiravir, un médicament antiviral  utilisé contre la grippe et autre virus à ARN comme le virus du Nil, de la fièvre jaune, etc., développé par la filiale médicale de Fujifilm Holdings et vendu sous le nom commercial d’Avigan, est efficace contre le coronavirus, sur la base d’un essai clinique de 200 patients.

Certains médecins japonais ont également traité des patients atteints de coronavirus avec Avigan. Tokyo a stocké suffisamment de ce médicament pour environ 2 millions de patients. « Le gouvernement nous a demandé d’envisager une augmentation de la production. Mais ce sera difficile ! », a déclaré le porte-parole de Fujifilm.

Attention aux graves effets secondaires

Avigan a été approuvé par les autorités médicales pour traiter la grippe au Japon en mars 2014. Fujifilm a ensuite signé un accord de licence avec la société chinoise Zhejiang Hisun Pharmaceutical en 2016, et cette dernière se prépare maintenant à produire le médicament en masse à la demande du gouvernement chinois.

L’Institut des sciences médicales de l’Université de Tokyo a commencé cette semaine à traiter en protocole expérimental les patients atteints de coronavirus avec du nafamostat, un traitement contre la pancréatite. Ce médicament s’était déjà révélé efficace pour empêcher une souche de coronavirus à l’origine du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS), d’infecter les cellules. Dans une course thérapeutique et commerciale contre la montre, d’autres équipes de recherche testent l’efficacité des médicaments existants comme le remdesivir ou le Kaletra, une molécule anti-VIH. Cependant, beaucoup de ces traitements ont des effets secondaires potentiels graves, et peuvent ne pas convenir à tous les patients atteints de coronavirus et présentant des symptômes plus légers.

Avigan, par exemple, a provoqué des anomalies congénitales lors de tests sur des animaux et n’est pas recommandé pour les femmes enceintes. Des lésions hépatiques et des pancréatites ont été observées chez les personnes traitées avec le Kaletra. Les effets secondaires du remdesivir ne sont pas encore clairs, mais pourraient inclure une baisse de la pression artérielle.

Par Vo Trung Dung, avec Hiroshi Yoko à Tokyo.

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Illustration ; 2018 © Takashi Murakami — « The lion of the kingdom that transcends death ».

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