Géopolitique Diplomatie Economie Mer de Chine

Liberté d'expression Free Speech Flag

Le Vietnam, l’activisme et Pham Thi Doan Trang

L’arrestation, le 06 octobre 2020 dernier à Hô Chi Minh-Ville, l’activiste Pham Thi Doan Trang (Phạm Thị Đoan Trang), née en 1978 à Hanoi, militante prodémocratique, blogueuse et ancienne journaliste réputée pour ses analyses et ses enquêtes, a provoqué un émoi considérable dans l’opinion publique au Vietnam, mais aussi à l’étranger.

« Trang a été arrêtée ! ». La nouvelle s’est répandue rapidement sur Facebook, le réseau social préféré des Vietnamiens. Dans la foulée, et les jours après, ses anciens collègues-journalistes — toujours en poste dans les médias officiels —, des intellectuels, des universitaires et des citoyens ordinaires n’ont pas hésité à montrer leur émotion et leur désapprobation — publiquement — sur les réseaux sociaux. Même s’ils ne partagent pas entièrement l’opinion et les démarches de Pham Thi Doan Trang.

A l’étranger, un fait rare : le célèbre et influent  quotidien américain The Washington Post a consacré un éditorial signé de la rédaction sur son arrestation. Dans une déclaration, l’ambassade américaine à Hanoi a dit sa « préoccupation par l’arrestation et  la détention de Trang », qui « pourraient avoir un impact sur la liberté d’expression ». « Nous demandons instamment au gouvernement vietnamien de s’assurer que ses actions et ses lois sont conformes aux obligations et engagements internationaux du Vietnam », a déclaré Mme Rachael Chen, la porte-parole de l’ambassade. Du côté des Européens, le ministre tchèque des Affaires étrangères, Tomas Petricek, a appelé, via son compte Twitter, la libération de l’activiste. Les parlementaires européens de l’aile gauche ont aussi réagi, en mettant l’Accord de libre-échange UE-Vietnam dans la balance.

Qui est Pham Thi Doan Trang ?
Pham Thi Doan Trang
Pham Thi Doan Trang — Source : Collection privée, © DR

Elle fait partie des plus connus et des plus respectés des activistes vietnamiens qui militent de façon non violente contre le monopole politique du Parti communiste du Vietnam. Pendant longtemps, elle avait des relations presque cordiales — mutuellement — avec les services de sécurité chargés de la surveiller. Elle croyait au pouvoir du dialogue patient avec le pouvoir. Et pour elle, c’était la meilleure voie possible pour obtenir plus d’ouverture politique.

Son approche reste légaliste. C’est pour cela qu’elle est estimée par une large frange de l’opinion vietnamienne. Elle n’appelle pas le renversement du système, mais veut insuffler le changement par la conscience politique, démocratique, juridique des citoyens. Ses écrits et ses livres sur les droits politiques sont très lus, avec des titres — interdits — tels que « Politique pour le peuple », « Politique d’un État policier », « Journalisme citoyen », « Un manuel pour les familles de prisonniers politiques ». Des ouvrages publiés par la « Maison de l’Édition libérale » (LPH – Liberal Publishing House) — interdite — dont elle est co-fondatrice. LPH a reçu le Prix Voltaire 2020 de la part de The International Publishers Association (IPA) pour sa contribution à la liberté de publication.

Cachée par un réseau d’amis et de sympathisants, recherchée depuis plusieurs mois par les services de sécurité, Pham Thi Doan Trang a été arrêtée par la police le 6 octobre dernier à Hô Chi Minh-Ville et transférée aussi tôt à Hanoi. L’accusation porte sur les faits de « fabriquer, stocker, distribuer ou diffuser des informations, des documents et des articles contre la République Socialiste du Vietnam ». Son procès est préparation. Et elle risquerait jusqu’à 20 ans de prison. C’est la peine maximale prévue par le Code pénal.

Aux revendications de Doan Trang, les autorités opposent l’argument du droit. « Si les actions de revendication n’étaient pas prévues ou autorisées par la loi, vous vous trouvez alors en infraction. Donc, attendez ou faites changer, évoluer la loi avant !» a commenté un procureur d’Hô Chi Minh-Ville, joint par téléphone, qui préfère ne pas être nommé.

Quelles sont les allégations du gouvernement vietnamien contre Pham Thi Doan Trang ?

Doan Trang est accusé de « faire de la propagande contre la République Socialiste du Vietnam » en vertu de l’article 88 du Code pénal de 1999, et de « fabriquer, stocker, diffuser des informations, du matériel, des articles dans le but de s’opposer à l’État de la République Socialiste du Vietnam » en vertu de l’article 117 du Code pénal de 2015.

Le Code pénal de 1999 — révisé en 2009 — a été remplacé par le Code pénal de 2015. Le Code pénal de 2015 est entré en vigueur le 1er janvier 2018 après avoir été révisé en 2017.

Les deux délits dont Doan Trang est accusé sont presque les mêmes.

Article 88. Propagande contre la République socialiste du Vietnam.

1. Les personnes qui commettent l’un des actes suivants contre la République socialiste du Vietnam sont condamnées à une peine de trois à douze ans d’emprisonnement :

  • Propager, déformer et/ou diffamer l’administration du peuple ;
  • Propager la guerre psychologique et diffuser des informations fabriquées de toutes pièces afin de semer la confusion dans la population ;
  • Fabriquer, stocker et/ou faire circuler des documents et/ou des produits culturels portant atteint à la République socialiste du Vietnam.

2. En cas de délits moins graves, les contrevenants sont condamnés à une peine d’emprisonnement de 10 à 20 ans.

Article 117. La fabrication, le stockage, la diffusion d’informations, de documents, d’objets portant atteint à l’État de la République Socialiste du Vietnam

1. Toute personne qui, dans le but de s’opposer à l’État de la République socialiste du Vietnam, commet l’un des actes suivants est passible d’une peine de cinq à douze ans d’emprisonnement :

  • La fabrication, le stockage, la diffusion d’informations, de matériels, d’objets contenant des informations déformées sur le gouvernement du peuple ;
  • La fabrication, le stockage, la diffusion d’informations, de matériels, d’objets contenant des informations fabriquées qui provoquent le trouble à l’ordre public ;
  • La fabrication, le stockage, la diffusion d’informations, de matériels, d’articles qui provoquent une guerre psychologique.

2. Un cas extrêmement grave de cette infraction est passible d’une peine de 10 à 20 ans d’emprisonnement.

3. Toute personne qui se prépare à commettre cette infraction pénale est passible d’une peine de 1 à 5 ans d’emprisonnement.

 

Et voici une date clé : le 1er janvier 2018. C’est le jour où le « nouveau » — et l’actuel — Code pénal est entré en vigueur.

De Taipei, Trinh Huu Long, juriste et journaliste, co-fondateur de la « Revue du Droit » (Luật Khoa Tạp Chí ), dont Doan Trang est aussi co-fondatrice, livre son analyse : « la seule raison pour laquelle Doan Trang est accusée du même délit en vertu de l’ancien et de l’actuel Code pénal est que le gouvernement a enquêté sur ses activités avant et depuis le 1er janvier 2018. »

Les raisons de son arrestation

Selon certaines de nos sources, les enquêteurs soupçonnent que Doan Trang est liée à l’affaire Dong Tam, un conflit foncier violent entre les villageois et l’État qui a fait 3 morts du côté des forces de l’ordre et la mort du « chef » informel de la contestation. L’activiste a rédigé et distribué deux rapports en vietnamien et en anglais sur l’événement du village Dong Tam, près de Hanoi, en février et septembre 2020. Mais, d’autres sources laissent penser que son arrestation concerne principalement son rôle à la maison d’édition interdite fondée en février 2019.

Son célèbre livre intitulé « Politique pour le peuple » a été publié en 2017, et aussi un rapport sur la catastrophe environnementale dans le centre du Vietnam. Elle s’est engagée dans un travail de plaidoyer international depuis 2013 et elle a également joué un rôle dans le mouvement de protestation environnementale à Ha Noi en 2015, ainsi que dans d’autres activités.

L’avocat Đặng Đình Mạnh et ses confrères, les avocats Trịnh Vĩnh Phúc, Nguyễn Văn Miếng, Nguyễn Hà Luân, Lê Văn Luân, Ngô Anh Tuấn, assureront la défense de l’activiste. C’est un petit groupe d’avocats d’Hô Chi Minh-Ville  et de Hanoi, rompus, avec courage, aux difficiles exercices de défense des accusés « politiques ».

« Les procédures concernant la défense ont été respectées et réalisées dans les temps prévus par les textes de loi. C’est donc un début plutôt positif que je tiens à souligner ! » a remarqué l’avocat Đặng Đình Mạnh qui est le défenseur principal de Doan Trang.

L’opinion : perte et profit

L’arrestation de Pham Doan Trang est survenue quelques heures seulement après que les États-Unis et le Vietnam aient terminé le 24e dialogue annuel États-Unis-Vietnam sur les droits de l’homme, une réunion virtuelle de trois heures qui, selon le département d’État des États-Unis, « a abordé un large éventail de questions relatives aux droits de l’homme ».

Selon des observateurs avisés de la politique vietnamienne, l’arrestation de Pham Doan Trang peut s’avérer contre-productive pour le pouvoir à l’approche du XIIe Congrès du Parti communiste du Vietnam. « Le parti dirigeant est en train de perdre le crédit de sympathie et de respectabilité acquis par l’excellente gestion de la pandémie CoVid-19 ! » a souligné un universitaire et politologue de Hanoi souhaitant garder l’anonymat. C’est un congrès crucial qui devra nommer les prochains dirigeants du pays. Et malgré son système politique autocratique, les dirigeants vietnamiens, à l’heure de l’internet, ne peuvent plus ignorer le levier de l’opinion publique interne et internationale.

Vo Trung Dung

 


 

Illustration de Une : « Etendard de la liberté d’expression » © John Marcotte

Derniers articles dans Magazine

Go to Top