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Chine : Fusée "Longue Marche 5" - Crédit photo : Agence spatiale chinois.

La Chine et son programme spatial : des ambitions… et quelques ratés

La Chine et son industrie spatiale — de plus en plus performante — concurrencent les Européens et leur fusée Ariane sur le marché international du lancement de satellite. Toutefois, la Chine part avec certains handicaps et non des moins : l’infrastructure d’accueil au sol pas à la hauteur, la suspicion d’espionnage industriel et l’américain ITAR (« International Traffic in Arms Regulations ») — qui interdit le lancement par la Chine de tout satellite américain, et même de tout objet de n’importe quel pays contenant une technologie américaine jugée « sensible ».

Le communiqué officiel est lapidaire mais confirme pourtant l’échec. « Le lancement de la deuxième fusée porteuse à charge lourde de la Chine, la Longue Marche-5 Y2, a été qualifié d’infructueux » admet l’agence Chine Nouvelle confirmant donc le problème technique subi par le lancement le dimanche 2 juillet du satellite de télécommunications Shijian 18 via un lanceur de type Longue Marche 5 (Chang Zheng 5). Selon toute vraisemblance, l’anomalie vient de l’allumage du moteur du deuxième étage qui ne s’est pas enclenché correctement. Empêchant d’accentuer la poussée, la fusée n’a pas atteint l’orbite voulue et a fini par retomber au sol.

Le coup est rude pour l’industrie spatiale chinoise. Primo, car le premier vol d’essai des lanceurs Longue Marche 5 qui s’était déroulé le 3 novembre 2016 avait déjà été émaillé de nombreux problèmes, même si la mise en orbite avait malgré tout été réussie. Secundo, car l’échec du 2 juillet va retarder le programme de lancement des futurs Longue Marche 5 dont le prochain décollage pourrait être repoussé d’un an et n’être effectué qu’en 2019.

Mais cet échec cuisant alors que l’exploitation de ces lanceurs lourds venait à peine de commencer peut-il d’ores et déjà jeté une douche froide sur les ambitions chinoises en matière d’aérospatiale ? Pour Olivier Sanguy spécialiste de l’astronautique et rédacteur en chef du site d’actualités spatiales de la Cité de l’espace à Toulouse, un échec de la sorte au début de l’exploitation est loin d’autre inhabituel : « Rappelons que le vol inaugural du lanceur européen Ariane 5 en 1996 se solda par un échec. En 2002, Ariane 5 a subi un nouvel échec , depuis, le lanceur a cumulé 80 succès d’affilée, un score remarquable » explique-t-il à Asie Pacifique News.

La Chine n’a donc pas dit son dernier mot, loin de là, sur le marché des lanceurs, d’autant que son Longue Marche 5 présente toujours sur le papier des performances supérieures à Ariane 5 (voir encadré). Un livre blanc publié par les autorités de Pékin le 27 décembre 2016 rappelle d’ailleurs que les ambitions chinoises dans le domaine spatial semblent sans limite. Une sonde doit être envoyée en 2018 sur la face cachée de la Lune, qui n’a jamais été explorée. Et une première sonde en direction de mars est prévue pour 2020. D’ici 2022, la Chine devrait assurer une présence permanente en orbite, bouclant le cycle initié en octobre 2016 avec l’envoi de deux « taïkonautes » en mission spatiale.  La conquête spatiale coordonnée en Chine par l’état-major militaire, avance donc toute vitesse depuis le premier envoi d’un Chinois dans l’espace… de 2003. Et pour l’instant, malgré les échecs, l’exécutif se montre un soutien sans faille de ce programme symbole d’un prestige diplomatique conséquent pour la Chine.

Soutien sans faille de Pékin

Et l’Empire du milieu a, de plus, de solides arguments à faire valoir : ses ressources humaines. Le système éducatif chinois produit en effet à la chaîne des ingénieurs, jeunes et motivés pour rejoindre l’aventure nationale de la conquête spatiale, à une époque où les pays occidentaux s’inquiètent de la désaffection des jeunes pour les filières scientifiques et techniques.

Le montant exact investi par la Chine dans son très ambitieux programme spatial est officiellement inconnu. Mais les spécialistes estiment que le budget annuel alloué tourne probablement autour des 3 milliards de dollars. Un chiffre modeste par rapport aux 19,3 milliards de dollars de budget pour la NASA en 2016, mais déjà équivalent à la France dont le Centre national d’études spatiales (CES) dispose, pour 2017, d’un budget de 2,33 milliards d’euros. Et le pays essaie même de développer ses propres « start-up » spatiales. Mais contrairement aux américaines SpaceX ou Blue Origin, le but de celles-ci n’est pas de développer un secteur privé de l’aérospatiale, et elles marchent main dans la main avec les autorités gouvernementales.

Mais malgré ce modèle intégré et ce soutien public pour l’instant sans faille — y compris en dépit du ralentissement de la croissance dans le pays — le secteur chinois va peiner, dans le court terme, à aller taquiner Arianespace — qui n’a pas souhaité réagir au récent échec chinois — sur le marché des lanceurs.

Quelques handicaps structurels et d’image

Car si Longue Marche 5 possède en théorie des technologies supérieures ou au moins équivalentes d’Ariane 5, la Chine reste un partenaire « sensible » pour les entreprises qui souhaitent mettre un satellite sur orbite. « Le marché du lancement ne concerne pas que le lanceur, même si bien sûr ce dernier reste un élément primordial. La qualité des infrastructures au sol pour l’accueil des satellites est d’une importance équivalente. Les satellites de télécommunications, le gros du marché du lancement ouvert à la concurrence, sont des engins qui coûtent parfois plusieurs centaines de millions de dollars. Leurs propriétaires ne regardent donc pas que le lanceur, mais aussi si les installations au sol et les processus qualité appliqués par les techniciens du centre spatial sont à la hauteur de leurs exigences. En ce domaine, Arianespace jouit d’une excellente réputation » explique Olivier Sanguy. Qui rappelle aussi que « la  Chine souffre aussi d’un a priori d’espionnage industriel. Or, lorsque vous confiez un satellite, il est difficile de tout cacher le concernant ».

La Chine paie donc dans l’aérospatiale les travers anciens de son secteur industriel. L’aérospatiale « Made in China » souffre enfin des normes dites ITAR (« International Traffic in Arms Regulations ») interdisant le lancement par la Chine de tout satellite américain, et même de tout objet de n’importe quel pays contenant une technologie américaine jugée « sensible ». Tout concours donc à réduire le marché. Mais Pékin voit sans doute dans l’aérospatiale des préoccupations qui ne sont pas nécessairement mercantiles.

 

Damien Durand

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Encadré.

La lanceur Longue Marche-5 (dit aussi « CZ-5 ») affiche des performances supérieures à son homologue français Ariane-5. Il permet l’envoi de 23 tonnes sur orbite basse et de 13 tonnes pour l’orbite de transfert géostationnaire contre respectivement 20 et 10,5 tonnes pour Ariane 5. Le Longue Marche-5 est aussi pensé pour pouvoir envoyer un jour un Rover — un véhicule d’exploration spatiale — vers la planète Mars, un objectif assumé de la China Space Administration (CNSA).

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