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VinFast Automobile Vietnam - Photo © Vo TRung Dung / AsiePacifique.fr

Vietnam : VinFast, un pari automobile national

#VinFast. La planification du gouvernement communiste de 1996 n’a pas permis au Vietnam de réaliser ses objectifs d’industrialisation pour 2020. Voici la raison : le pays n’a réussi à développer ni une industrie locale solide ni des secteurs industriels stratégiques qui auraient pu servir au redécollage de l’économie vietnamienne. Le secteur automobile en est la parfaite illustration. Il se résumait alors à l’assemblage, jusqu’à ce que la décision du plus grand conglomérat vietnamien VinGroup en septembre 2017 décide de construire des usines à Hai-Phong, ville portuaire au nord du pays, afin de mettre sur pied une marque de voitures nationale, VinFast. Et à partir de-là, devrait naître une vraie industrie : une industrie dopée au patriotisme économique, avec un zeste de nationalisme.

Hanoi, 18 heures, sur l’avenue Chua Lang. C’est l’heure de point, matérialisée par un long serpent de plusieurs kilomètres de scooters, de motos, de voitures particulières, de bus…qui font du quasi sur-place. Un « SUV » flambant neuf, arbore fièrement le logo et la marque en grand, façon Volvo, mais en plus « m’as-tu-vu ». Le véhicule reste coincé comme tout le monde, il attire des regards. Les commentaires et questions fusent : « C’est une Vin ! Ah, ça roule déjà ! Pas mal ! Qu’est-ce que ça vaut ? Combien ? Oh, pas donné ! C’est presque le prix d’une Hyundai ou d’une Mazda… » Une question posée au conducteur : « Alors, il est comment ? » Réponse : « Ça fait deux semaines que je l’ai. Il est difficile d’en juger, mais la conduite et le moteur sont agréables. Toutefois, je remarque que la qualité et l’assemblage n’égalent pas les meilleures coréennes, et je ne parle pas encore des japonaises ! Mais, bon ! La marque va s’améliorer sans doute. Puis, le prix reste raisonnable, le crédit est presque offert, et c’est vietnamien. Moi, je soutiens les produits vietnamiens ! »

Avec ses trois premiers modèles — la petite citadine Fadil, la berline Lux-A et le « SUV » Lux-S — qui ratissent les principaux segments automobiles sur le marché, VinFast entend concurrencer les marques régionales et internationales déjà solidement présentes sur le marché vietnamien. Une tâche plutôt ardue pour la première marque automobile nationale, mais pas impossible à condition de voir à très long terme et d’avoir des finances solides. La marque diversifie aussi en proposant un modèle de scooter électrique de bonne facture, joliment dessiné et au tarif plutôt doux. Puis, à terme, on devrait voir arriver les véhicules utilitaires, les bus électriques.

La société vient de publier les chiffres de vente de 2019 : 17 000 voitures et 50 000 scooters électriques. C’est plutôt un bon résultat pour une nouvelle marque après seulement six mois de commercialisation. S’il est trop tôt pour parler de succès commercial dans la durée, l’entreprise reçoit le soutien politique du gouvernement vietnamien et du secteur bancaire. Nous devrons attendre pour voir si les consommateurs seront au rendez-vous en nombre suffisant en 2020.

L’industrie automobile au Vietnam

Le secteur des hautes technologies est l’une des priorités du Parti communiste vietnamien (PCV) depuis les réformes économiques de 1986 ouvrant le pays à l’économie libérale. Le PCV fait du développement de l’industrie automobile un objectif stratégique.

Le premier fabricant de véhicules du Vietnam est né d’une initiative conjointe avec le Japon et la Corée au début des années 1990. Surtout des utilitaires. Mais c’est seulement quelques années plus tard que les géants étrangers de l’automobile tels que Mitsubishi et Ford ont commencé à assembler leurs véhicules sur le territoire vietnamien. Ils seront ensuite rejoints par de nombreuses autres entreprises automobiles de renom, mais aussi par des compagnies locales comme Samco et Vinamotor qui sont spécialisées dans l’assemblage de bus.

Les quelques tentatives locales de développer le secteur ont été tuées dans l’œuf par le manque de technologies et de capitaux ainsi que par les erreurs de planification, de stratégie. Aussi, les groupes automobiles vietnamiens sont restés majoritairement cantonnés à l’assemblage et à la distribution de marques étrangères jusqu’à aujourd’hui, n’apportant que très peu à l’économie du pays, l’emploi mis à part.

Avec les taxes automobiles élevées et l’absence d’emplacements de stationnement, le marché automobile vietnamien souffre de sa petitesse : en 2017, moins de 300 000 véhicules ont été vendus au Vietnam selon l’Association des industriels automobiles du Vietnam. Le gouvernement a bien essayé de faciliter l’enracinement des groupes étrangers sur son territoire, mais la taille du marché vietnamien ainsi que la faible capacité de production ont refroidi les investisseurs.

Enfin, l’ouverture économique tardive du Vietnam et l’accord de libre-échange des pays de l’ASEAN (AFTA) de 2018 qui a facilité l’importation des véhicules entièrement construits ont été autant de raisons pour les industriels étrangers de maintenir leurs installations en Thaïlande et en Indonésie, même pour les produits à destination du marché vietnamien.

 

Le stand de VinFast Automobile au salon Mondial de Paris en 2018 - Photo © Vo Trung Dung / Asie Pacifique Média
Le stand de VinFast Automobile au salon Mondial de Paris en 2018 – Photo © Vo Trung Dung / Asie Pacifique Média
Une nouvelle donne grâce à VinFast ?

L’initiative de VinGroup intervient comme une opportunité pour le gouvernement vietnamien qui ne peut pas s’appuyer sur les entreprises étrangères pour relancer son secteur automobile.

La principale activité — très lucrative — de VinGroup, dirigée par l’homme le plus riche du pays, le milliardaire Pham Nhat Vuong, est l’immobilier. L’entreprise jouit d’une bonne réputation à la fois auprès du grand public et des autorités, ce qui lui a permis de développer des projets d’immobiliers de grande envergure — immeubles d’habitation haut de gamme, bureaux, centre commercial, hôpitaux et écoles privés et hôtellerie de loisir de luxe — mais aussi de se pencher sur d’autres secteurs tels que la santé privée avec Vinmec, et l’agriculture.

L’annonce de sa marque de véhicules VinFast en 2017 marque son intégration dans le marché automobile dans lequel elle n’officiait pas jusqu’alors. À cela, s’ajoute sa volonté de produire des smartphones et autres appareils électroniques comme des « téléviseurs intelligents » sous le giron d’une de ses branches, VinTech, témoignant des objectifs du groupe de devenir une entreprise technologique d’ici 2028.

Toute l’attention du public et du gouvernement est portée sur VinFast dont l’ampleur et l’ambition sont vues comme providentielles, mais aussi sujettes à débat. L’entreprise a en tout cas les moyens de se développer à l’échelle internationale et de transformer en profondeur l’industrie automobile du Vietnam. Mais, pour le moment, elle se concentre sur le marché domestique pour se faire la main. Et, si tout va bien, VinFast visera sans doute le vivier des consommateurs régionaux d’ASEAN : le Cambodge, le Laos, la Birmanie, la Thaïlande.

La rapidité de mise en œuvre de l’entreprise est aussi saluée, la présentation des prototypes n’ayant eu lieu qu’en 2018 et les premiers véhicules se trouvent sur le marché, vraiment, depuis juin 2019. Cette vitesse d’exécution a été permise en partie par ses partenariats avec des industriels étrangers, parmi lesquels Italdesign, BMW pour la plateforme et le moteur ou encore Bosch, qui ont participé à l’élaboration des designs et la fabrication des équipements et composants. La marque vietnamienne applique presque la stratégie de « Lego » déjà bien rodée dans l’industrie électronique où l’entreprise, comme un maitre d’orchestre, rassemble technologie et pièces détachées. Une stratégie qui permet d’économiser le temps et de l’argent consacrés à la recherche et au développement.

VinFast envisage dans un premier temps un taux de localisation qui montera jusqu’à 60%. Aussi, l’entreprise s’est déjà lancée dans la construction d’un complexe d’usines, toujours à Hai Phong, au nord du Vietnam. Ce complexe est divisé en huit parties : quatre seront intégralement possédées par VinFast, deux seront entièrement dirigées par des fournisseurs étrangers et deux seront partagées entre VinFast et ses fournisseurs. Parallèlement, VinFast a acquis les activités vietnamiennes de GM-Chevrolet : unités d’assemblage, réseau et production des petites citadines Chevrolet sous licence.

Défis et opportunités

Le principal défi pour VinFast sera évidemment la concurrence régionale et internationale, à la fois sur les marchés étrangers et le marché local. L’entreprise a affirmé qu’elle mettra l’accent sur la qualité de ses produits et le prestige de ses partenaires industriels, technologiques. Des partenaires qui attendront cependant d’observer l’éventuel succès de VinFast avant d’approfondir leur collaboration.

Même si VinFast doit et va d’abord se concentrer sur le marché vietnamien, il faudra que la marque parvienne à obtenir la confiance des consommateurs. Une confiance qui va, les yeux fermés, depuis longtemps notamment aux voitures japonaises notamment. Des mesures protectionnistes — fiscales, en particulier — sont déjà en train d’être mises en place. Cependant, leur efficacité semble anecdotique et limitée par les accords de libre-échange et l’Organisation mondiale du commerce que le Vietnam doit respecter.

L’entreprise devrait aussi faire pression sur le gouvernement afin qu’il réduise certaines taxes sur la production, même si cela entraînerait une surtaxe sur d’autres aspects tels que la possession d’un véhicule, rendant l’initiative caduque. Les autorités envisagent aussi de réduire la pollution en limitant les deux-roues dans certaines grandes villes, mais cela impliquerait de développer les transports publics pour ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter un véhicule. En outre, le manque d’infrastructures pour les voitures et l’urbanisme chaotique dans les grandes villes — embouteillages, parkings… — freinent l’intention d’achat des ménages qui auraient les moyens.

De manière générale, et dans le but de répondre au besoin de « vietnamisation » de la production automobile, il sera crucial pour VinFast d’investir dans la recherche et le développement afin, à terme, d’être capable de concevoir ses propres composants. En effet,  l’entreprise dépend encore énormément du soutien logistique de ses partenaires étrangers.

Malgré tout, Vinfast bénéficie de certains facteurs encourageants. Par exemple, le marché automobile vietnamien a beaucoup de potentiel, notamment grâce à sa classe moyenne en expansion constante. L’arrivée tardive du Vietnam sur le marché peut aussi être vue comme un atout qui permettra à Vinfast de s’appuyer rapidement sur les hautes technologies et l’innovation sans porter le poids d’un héritage historique désuet.

À terme, l’initiative de Vinfast pourrait créer 25 000 emplois. De plus, l’entreprise et ses produits jouissent d’une excellente réputation auprès du public — malgré des polémiques sur la façon dont l’entreprise obtient terrains et marchés. Elle possède de fortes connexions avec les politiques, mais tire l’avantage de ses performances exemplaires dans les autres domaines dans lesquels elle officie. Cela fait d’elle la figure de proue idéale pour le développement économique — qui est aussi un projet politique du PCV — du Vietnam et sa visibilité à l’étranger. Le groupe dispose d’importantes ressources financières et d’une base de clients unique dans le pays, qu’elle entretient, entre autres, grâce à un nationalisme revendiqué et un patriotisme économique.

Par Vo Trung Dung

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