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France – Vietnam : 45 ans des relations diplomatiques, vers un renouveau des liens bilatéraux ?

A l’occasion du 45ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et le Vietnam, notre journal co-organise avec le centre de recherche Asia Centre à l’INALCO un colloque réunissant experts, diplomates et politiques afin de faire le point sur les perspectives communes des deux pays. Ce fut riche et franc. Nous vous présentons ci-dessous le compte-rendu enrichi de ce colloque du 9 avril 2018 à Paris. 

L’année 2018 signe le 45ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et le Vietnam. Elle a été marquée par la récente visite du premier secrétaire du Parti communiste vietnamien (PCV), Nguyen Phu Trong, à Paris en mars dernier.

L’occasion, lors d’un colloque organisé le 09 avril 2018 par le think tank Asia Centre, de réaliser un état des lieux des rapports bilatéraux dont les gouvernements des deux pays déclarent être à l’orée de nouveaux approfondissements. A cet effet, fut réuni un panel de diplomates et d’experts français et vietnamiens au sein des locaux de l’INALCO à Paris pour une analyse poussée de la relation France-Vietnam dans toutes ses dimensions, en premier lieu historique.

Le bilan historique de la relation franco-vietnamienne : entre éloignements et retrouvailles

« C’est en effet au cours d’une longue histoire commune que la relation franco-vietnamienne s’est construite », explique le professeur François Guillemot, directeur de recherche de l’Institut d’Asie Orientale (Ecole normale supérieure, ENS Lyon). Cependant, si cette relation s’inscrit donc dans la durée, paradoxalement « elle conserve intrinsèquement une certaine fragilité », souligne le professeur. Comme l’a rappelé le président Emmanuel Macron lors de sa déclaration conjointe avec M. Nguyen Phu Trong du 27 mars, les rapports entre la France et le Vietnam ont souvent été marqués par cette ambivalence : « L’Histoire [franco-vietnamienne] est ainsi […] une Histoire de guerre et de paix, d’éloignement et de retrouvailles »Ce qui a pu rapprocher la France et le Vietnam, ce fut le maintien d’une relation diplomatique forte entre Paris et Hanoï en dépit des oppositions de la Guerre froide.

Les accords de Genève de 1954 posèrent d’abord les bases d’une réconciliation en permettant une sortie honorable de la guerre d’Indochine selon l’ancien Ambassadeur du Vietnam à l’UNESCO et l’Organisation internationale de Francophonie (OIF), M. Duong Van Quang. La France se rangea ensuite du côté de la position de la République Démocratique du Vietnam (RDVN) durant la guerre fratricide qui divisa le pays : dans un discours prononcé à Phnom Penh en 1966, le général De Gaulle se déclara ainsi opposé à l’intervention américaine dans le pays. Toujours en ce qui concerne le conflit vietnamien, la France joua également un rôle capital d’entremetteur diplomatique en accueillant des négociations de paix qui s’achevèrent par la signature des accords de Paris en 1973.

L’après-guerre marqua pourtant le pas des relations franco-vietnamiennes. Contraintes par le contexte de la troisième guerre d’Indochine, « elles ne furent pas exceptionnelles » selon M. Duong Van Quang. Les rapports entre la France et le Vietnam s’illustrèrent alors par l’action des french doctors pour le sauvetage des boat people. « L’image des années 80 fut brouillée », explique François Guillemot.

Cependant, malgré les vicissitudes de l’histoire « la France et le Vietnam ne se sont jamais tournés le dos », insiste l’ambassadeur Duong Van Quang. Les années quatre-vingt dix furent les années des retrouvailles. La France fut le premier pays occidental à briser l’isolement dans lequel le Vietnam était plongé par la visite du président François Mitterrand en 1993. La diplomatie française participa alors activement à la réinsertion du Vietnam au sein de la communauté internationale.  

En dépit de cette forte implication au Vietnam dans le début des années quatre-vingt-dix, la France « a perdu pied » dans le pays constate François Guillemot. Les investissements des autres pays d’Asie et le retour des Etats-Unis ont en effet quelque peu marginalisé la place de la France au Vietnam. La signature d’un partenariat stratégique entre la France et le Vietnam en 2013 s’inscrit alors dans une volonté de reconsolider sur tous les plans une relation franco-vietnamienne qui tendait peut-être ces dernières années vers une relative indifférence.

Malgré l’excellence affichée des relations diplomatiques, un découplage des intérêts franco-vietnamiens ?

Le maintien d’une certaine excellence des rapports diplomatiques franco-vietnamiens n’a pu en effet empêcher l’émergence de divergences d’intérêts entre Hanoï et Paris éprouvant l’efficacité de la relation entre les deux pays.

Une première divergence porte sur la perception des rapports France-Vietnam. La France met souvent en avant son histoire partagée avec le Vietnam pour valoriser ses liens avec ce pays. Or pour le Vietnam, la référence à l’Histoire apparaît de plus en plus secondaire. L’ambassadeur Duong Van Quang constate ainsi que « l’héritage historique dont dispose le Vietnam et la France agît de moins en moins sur la relation, il faut trouver d’autres ressorts ». Et ajoute-t-il : « La commémoration, la nostalgie c’est bien, l’action est indispensable ». Car « 53% de la population vietnamienne a désormais moins de 30 ans », explique Jean-Philippe Eglinger du cabinet Viet Phap Stratégies, ce qui impose de sortir des considérations mémorielles avancées par la France.

Une seconde divergence est un découplage partiel des intérêts géopolitiques des deux pays. Les politiques étrangères de la France et du Vietnam ont vu leur priorité se recentrer vers leur voisinage régional au détriment du lien franco-vietnamien. Alors que la France a plutôt privilégié sa relation spéciale avec l’Afrique et l’Europe, le Vietnam a choisi pour sa part de favoriser en premier lieu l’essor de ses liens avec ses voisins asiatiques ainsi qu’une politique d’équilibre entre la Chine, les Etats-Unis et la Russie.  « Les processus de mondialisation et de régionalisation imposent désormais des contraintes aux relations bilatérales au regard des engagements internationaux pris par la France et le Vietnam », analyse l’ambassadeur Duong Van Quang.

Une troisième divergence est le décrochage économique de la France au Vietnam. La part de marché de la France est ainsi passée d’environ 4,5 % durant les années 90 à 1% aujourd’hui. Les grands groupes français, arrivés dès l’ouverture du pays aux entreprises étrangères, se sont peu à peu retirés. « Il n’existe pas actuellement de monuments ou de constructions françaises très importantes au Vietnam », déplore M. Duong Van Quang.

Une quatrième divergence est la permanence d’images négatives véhiculées dans les deux pays, « une épine dans le pied de la relation franco-vietnamienne », explique l’historien François Guillemot.  Une image convoyée par les courants politiques les plus extrêmes de l’Hexagone qui entendent promouvoir une représentation idéalisée et prétendument civilisatrice de la colonisation.  Cette conception de l’histoire, qui n’a pas évolué depuis la fin de la guerre d’Indochine il y a 64 ans, peut déboucher sur une méconnaissance du Vietnam actuel. Une image véhiculée par la République socialiste du Vietnam est celle des procès politiques à répétition imposée à la dissidence, une pratique ancrée dans le système qui selon François Guillemot « questionne les historiens et plus largement les citoyens de nos deux pays sur l’État de droit socialiste ».

Quelles pistes possibles pour un renouveau de la relation France-Vietnam ?

La relation franco-vietnamienne fait donc face au défi du renouvellement. Elle dispose d’atouts importants pour y parvenir. Il s’agit du potentiel économique de la relation franco-vietnamienne.

L’enjeu économique est assurément un intérêt mutuel aux deux pays. Si célébrer le dynamisme du PIB vietnamien est devenu un lieu commun, son expansion impressionne toujours : de 1992 à 2017, le PIB du Vietnam a été multiplié par 17 ! Cette progression a pu être réalisée par une croissance de 6 à 7% par an qui a abouti à l’émergence d’un nouveau marché, celle d’une classe moyenne qu’on estime de 6 à 7 millions de foyers. L’économie vietnamienne offre de grandes opportunités pour le commerce international. Avec des importations représentant 80% du PIB et des exportations du même montant, « le Vietnam se caractérise par son ouverture extraordinaire au monde », explique Jean-Philippe Eglinger.  Le développement de l’equitization, c’est-à-dire l’ouverture du capital des sociétés vietnamiennes, et leur appel au marché boursier permet l’émergence de nouveaux modes d’investissements au Vietnam.

La France n’a pas su jusqu’à maintenant profiter de cet essor du commerce extérieur vietnamien. La Chine, les Etats Unis, l’Union Européenne, la Corée du Sud sont les principaux partenaires commerciaux du Vietnam. Les seuls investissements de l’entreprise sud-coréenne Samsung représentent avec près de 5 milliards de dollars un montant supérieur à l’ensemble des investissements français.

L’Hexagone ne peut, du fait de son éloignement géographique avec le Vietnam, prétendre au même rang qu’un pays de la région.  Elle peut néanmoins y revendiquer une place de choix dans les secteurs où sa valeur ajoutée est reconnue. On pense ici à l’aéronautique, la pharmacie qui représentent respectivement 50% et 13% des exportations françaises, les transports où la France a obtenu des réussites avec Alstom pour le métro de Hanoï, la distribution avec Auchan et l’agroalimentaire. Du côté des importations vietnamiennes en France, le téléphone et le textile sont les principaux débouchés.

Le nombre d’expatriés français au Vietnam s’élève à 12 000 personnes ce qui peut paraître modeste par rapport aux 200 000 ressortissants sud-coréens. Il n’en connaît pas moins une évolution remarquable avec une croissance de 50% ces dernières années. La French Tech et son mode d’approche par filière est un succès à mettre au crédit de la communauté des entrepreneurs français dans les nouvelles technologies au Vietnam.  La création de structures d’incubateurs et de coworking franco-vietnamiennes pourrait être une solution selon Jean-Phillipe Eglinger pour ancrer une présence française dans le tissu économique vietnamien sur le long terme.

La solidité du cadre institutionnel est assurément un pilier de la relation franco vietnamienne. Le cadre institutionnel dans lequel s’inscrivent les échanges France-Vietnam est particulièrement complet : « La France est l’un des rares pays qui a signé avec le Vietnam des accords de coopération dans tous les domaines » explique M. Bui Le Thai de la commission des relations extérieures du Parti communiste vietnamien (PCV). Ce cadre a permis l’instauration d’une structure diplomatique et juridique solide pour appuyer la relation franco-vietnamienne. Un effort supplémentaire des deux parties semble toutefois nécessaire pour améliorer la mise en œuvre de ces accords : la sénatrice Hélène Luc constate ainsi qu’il convient de « renforcer l’efficacité des coopérations pour que les traités s’appliquent de manière plus efficace. »

Reste que dans des secteurs stratégiques comme celui de la défense, l’approfondissement des coopérations est une ambition clairement revendiquée. La France a été le premier pays occidental à établir des relations de défense avec le Vietnam depuis 1991, avec un niveau de contact élevé au niveau du vice-ministre de la défense en 2001.  Et lors de la dernière visite du 1er secrétaire Nguyen Phu Trong, les questions de défense furent affichées comme un enjeu commun de première importance.

« L’Asie du Sud-Est «[…] est une région structurante pour la sécurité collective, où la France doit être beaucoup plus présente. » Emmanuel Macron

Comme le rappelait le président Macron durant sa déclaration commune avec le premier secrétaire Nguyen Phu Trong, « l’Asie du Sud-Est «[…] est une région structurante pour la sécurité collective, où la France doit être beaucoup plus présente. Le Vietnam est un partenaire naturel pour l’approfondissement de ces liens. » 

Le respect du droit international et des principes de liberté de navigation représente des intérêts stratégiques convergents pour la France et le Vietnam. Des projets communs de coopération entre les ministères de la Défense français et vietnamiens notamment dans le domaine du matériel militaire ont été mis à l’ordre du jour lors de la venue du premier secrétaire vietnamien. « Une coopération vivace dans la défense telle que celle qui existe pour l’Inde pourrait être instaurée avec le Vietnam », avance l’ancien ambassadeur de France au Vietnam, M. Claude Blanchemaison.

Les institutions culturelles et de la Francophonie sont également considérées comme un levier pour le renforcement des liens entre la France et le Vietnam. Il s’agit pour la députée Stéphanie Do de « favoriser une culture commune qui sera le produit d’une force agissante ». Et « Le développement de la francophonie encore modeste au Vietnam pourrait devenir un intérêt stratégique pour ce pays », explique Nguyen Thai Son, président d’Interface francophone. Selon une étude de l’ONU, on comptera en 2050 près de 800 millions de locuteurs francophones dans le monde, ce qui fera de la maîtrise du français un enjeu géopolitique sur lequel le Vietnam pourrait s’appuyer.

Outre les relations au niveau gouvernemental, le PCV a développé des liens de parti à parti avec les principaux courants de l’échiquier politique français. « Il conserve une relation traditionnelle et solide avec le Parti Communiste Français, le président Ho Chi Minh ayant été l’un de ses fondateurs », explique M. Bui Lê Thai. Des accords de coopérations ont été également signés avec le Parti Socialiste en 1989 puis les Républicains en 2004. Des pourparlers pour de futures relations sont semble-t-il en cours de négociations avec le mouvement En Marche.

Au niveau des institutions, la coopération est étroite entre les deux assemblées nationales françaises et vietnamiennes ainsi que le Sénat. Une coopération qui pour la France est matérialisée entre autres par la constitution du groupe d’Amitié France-Vietnam rassemblant parlementaires et sénateurs.

L’Union Européenne et L’ASEAN : pour un nouvel horizon partagé

C’est peut-être l’inscription nouvelle de la relation franco-vietnamienne dans le cadre européen qui permettra un retour à une convergence plus étroite des intérêts français et vietnamiens.

Désormais, l’ampleur des coopérations change de dimension et se conçoit à l’échelle européenne : « La France n’est plus seule. Elle interagit au sein de l’Union européenne (UE) et cette dernière est désormais bien présente au Vietnam en tant que troisième partenaire commercial après la Chine et les États-Unis », explique François Guillemot.

Les futurs échanges commerciaux se dérouleront dans le cadre de l’accord de libre-échange Union européenne-Vietnam — plus connu sous son acronyme anglais EVFTA — dont la ratification devrait intervenir en 2018. Les volets de la coopération bilatérale sont désormais fixés par des accords sous supervision du Parlement européen dans les domaines politiques, économiques ou sectoriels au travers de l’Accord de partenariat et de coopération bilatérale (APC) en vigueur depuis le 1er octobre 2016 ou le domaine des droits de l’homme par le dialogue bilatéral sur ce sujet qui a vu son septième cycle s’achever en décembre 2017.

Le Vietnam pourrait pour sa part devenir une porte d’entrée dans l’ASEAN pour la France. Le Vietnam contribuerait à soutenir un pivot asiatique de l’UE porté entre autres par Paris dans une région considérée à nouveau comme stratégique pour les intérêts européens comme français.

 

Par Pham Quang. 

(Révision Luc Duval et Vo Trung Dung)

 

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