Série l'Homme invisible © Liu Bolin

Washington et la liste noire des entreprises chinoises

Chine | Les États-Unis ajoutent quatre nouvelles entreprises chinoises les plus importantes — [supposées] en lien avec l’armée populaire — sur une liste noire. Ces entreprises ne pourront plus recevoir de l’investissement américain, qu’il soit privé ou institutionnel. Et, la vente de certains produits et technologies à ces entités se verra réglementée.  

Selon un document et de nombreuses sources de Reuters, l’administration du président américain Donald Trump prévoit d’inclure le principal fabricant de puces électroniques SMIC et China Ocean Petroleum Corporation (CNOOC) dans la liste des entreprises ayant des liens et des intérêts liés à la Défense chinoise.

Cette liste noire comprend de nombreuses autres entreprises liées à l’armée. Elle vise à empêcher ces entreprises à recevoir les fonds des investisseurs américains. Elle rajoute plusieurs degrés de plus de tensions avec Pékin à quelques semaines à peine avant que la Maison-Blanche ne connaisse un changement de pouvoir.

Un peu plus tôt en novembre 2020, l’agence de presse Reuters a rapporté que le département américain de la Défense prévoyait d’ajouter quatre autres entreprises en Chine à la liste des entités détenues ou contrôlées par l’armée, portant le total à 35.

L’ordonnance exécutive que le président Trump vient de signer et devrait entrer en vigueur à partir de la fin de l’année prochaine interdit également aux investisseurs américains d’acheter des services — dits — de sécurité — comme les caméras de surveillance, des logiciels, etc. — fournis par des entreprises figurant sur la liste noire.

Les quatre nouvelles entreprises sont SMIC, CNOOC, China Construction Technology Limited Liability Company et China International Technical Advisory Group. CNOOC est la plus petite entreprise parmi les trois grandes entreprises pétrolières et gazières publiques de Chine, derrière China National Petroleum Corporation (CNPC) et China Petrochemical Group (SINOPEC).

La compagnie pétrolière CNOOC et la Mer de Chine méridionale

Lin Boqiang, directeur de l’Institut chinois de recherche sur les politiques énergétiques à l’Université de Xiamen : « Je pense que le CNOOC sera celui qui figurera sur la liste, pas CNPC, car CNOOC opère dans la Mer de Chine méridionale, considérée par les États-Unis comme à des fins militaires ».

Les investisseurs américains détiennent environ 16,5% des actions CNOOC cotées à Hong Kong. Le CNOOC a été un facteur central dans les différends et les tensions en Mer de Chine méridionale depuis 2012, lorsqu’il a invité des sociétés étrangères de forage pétrolier à explorer des blocs pétroliers et gaziers en haute mer que Hanoi avait précédemment contractés avec Exxon Mobil et OAO Gazprom.

En 2014, CNOOC a également amené la plate-forme pétrolière Hai Yang Shi You (HD) 981 tout près des îles de Paracels (en vietnamien : Hoàng Sa) que Pékin a pris au Viet Nam en 1974 . L’affaire HD-981 a provoqué une crise sans précédent entre le Viet Nam et la Chine.

Henik Fung, analyste à l’agence de presse Bloomberg : « Les nouvelles initiatives de Washington devraient conduire à une forte vague de désinvestissements dans cette entreprise. Les actions de CNOOC ont chuté de 12% lors de la séance du 30/11. »

CNOOC détient également des participations dans de nombreux gisements de pétrole et de gaz aux États-Unis et est également partenaire de grandes entreprises comme Exxon Mobil dans de nombreux projets internationaux.

Sengyick Tee, analyste à la société énergétique SIA basée à Pékin : « Toute interruption de ces activités [de CNOOC] aurait un impact énorme sur les activités pétrolières et gazières chinoises. »

Le semi-conducteur, une autre faiblesse des entreprises chinoises

En semi-conducteur, le fabricant de puces informatiques SMIC, qui utilise beaucoup de matières premières achetées à des fournisseurs américains, est également actuellement soumis à des réglementations de resserrement de la part des autorités. 

En septembre dernier, le département américain du Commerce a informé les entreprises qu’elles devaient demander une licence avant de fournir des biens et services au SMIC, après avoir conclu à l’existence d’un « risque inacceptable ». Ces produits peuvent être utilisés à des fins militaires.

La société SMIC a souligné qu’elle continue à « travailler dans un esprit constructif et ouvert envers le gouvernement des États-Unis », en assurant que « les produits et services que l’entreprise fournit, était destinés à des fins civiles et commerciales, » et qu’elle « n’a aucun lien avec l’armée chinoise et ne fabrique pas de produits de service pour les utilisateurs finaux militaires ou la finalité militaire. »

L’héritage chinois de Trump à Biden

La décision de Donald Trump et une série d’autres politiques similaires sont considérées par les observateurs avisés comme l’utilité finale de renforcer l’héritage diplomatique et politique dur du président Trump vis-à-vis de la Chine. La politique de Trump forcerait la prochaine administration Joe Biden à adopter une position ferme à l’égard de Pékin dans le contexte d’un très fort — consensus — sentiment anti-chinois dans les deux grands partis politiques au Congrès.

La semaine dernière, Reuters a également rapporté que l’administration Trump se préparait à publier une liste de 89 secteurs de l’aérospatiale et d’autres secteurs liés à l’armée chinoise. Cette liste « 89 » interdirait de facto à ces entités d’acheter une variété de produits et de technologie américaine.

L’appétit malgré tout des investisseurs chinois pour la haute technologie américaine

Les fonds soutenus par l’État chinois continuent à écumer les États-Unis pour des investissements dans des technologies sensibles malgré des restrictions plus sévères sur de tels accords, ce qui suscite des inquiétudes bipartites à Washington sur la sécurité nationale.

Pixelworks, Black Sesame Technologies et LightIC Technologies, trois entreprises du secteur sensible des semi-conducteurs aux États-Unis, ont attiré l’appétit ces derniers mois d’un groupe de plus de 1 600 fonds d’investissement chinois dits « aiguillés » par le gouvernement. Au total, on estime que ces fonds contrôlent plus de 610 milliards d’USD en capital, selon le cabinet de conseil chinois Zero2IPO.

Les États-Unis ont intensifié l’examen des investissements chinois. Washington craint le vol des technologies et de la propriété intellectuelle. Les investissements, même minoritaires, étant considérés comme un risque de sécurité des États-Unis en vertu des règles adoptées en 2018.

À Pékin, la Commission nationale du développement et de la réforme, le principal planificateur économique du pays, a donné pour instruction aux fonds publics chinois d’investir dans les industries émergentes stratégiques et les secteurs de fabrication avancée tels que les semi-conducteurs, qui restent un domaine dans lequel la Chine est déterminée à rattraper les États-Unis.

Les investissements chinois dans les entreprises américaines ont certes chuté depuis que Washington a renforcé, il y a deux ans, le Comité sur les investissements étrangers aux États-Unis (CFIUS), un comité interagences qui peut bloquer des accords pour des raisons de sécurité nationale. Mais certains accords dans des domaines technologiques critiques sont toujours en cours de négociation.

Vo Trung Dung

 

L’illustration de Une : Liu Bolin (劉勃麟), né en 1973 dans la province de Shandong, en Chine, est un artiste chinois. Il vit et travaille à Pékin.

 


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