Carte Nouvelles Routes de la Soie — Crédit : Capture d'écran d'ARTE TV

Chine – France : le président Macron un interlocuteur privilégié sur les nouvelles routes de la Soie

La Chine peut désormais revendiquer d’avoir mis le président français Emmanuel Macron et par extension la France — ou au moins la bonne disposition française — dans son portefeuille des pays qui espèrent trouver un intérêt économique dans le projet stratégique chinois « One Belt, One Road » ou des « nouvelles routes de la Soie ». Du gagnant-gagnant comme l’on dit. Si le président Macron est plus pragmatiste qu’idéologue, il a tout de même mis en garde Pékin contre le colonialisme — même économique — sous-jacent ressenti par ses futurs partenaires…

Une analyse de Sébastien Goulard — Consultant fondateur du cabinet de conseil Cooperans

Le président français s’est rendu en Chine du 8 au 10 janvier 2018 pour une visite officielle durant laquelle plusieurs contrats importants ont été signés par des entreprises françaises comme Areva/Orano.

Si la venue d’Emmanuel Macron en Chine était moins attendue que celle du président américain Donald Trump qui avait eu lieu deux mois plus tôt, elle a tout de même été largement commentée dans les médias chinois, et Pékin a fortement apprécié l’arrivée symbolique du président Macron à Xian, ville départ de l’ancienne route de la Soie ainsi que la volonté affichée de la France de participer à la mise en place des nouvelles routes de la Soie, un projet formulé par le président Xi Jinping en 2013. 

En embrassant le concept des « nouvelles routes de la Soie », Emmanuel Macron espère devenir le partenaire privilégié de la Chine en Europe.

La France, un partenaire politique stable

Jusqu’alors ce rôle était tenu par Angela Merkel, mais bien qu’elle conserve le poste de chancelière, les dernières élections allemandes de septembre 2017 l’ont fragilisée. Les Chrétiens-Démocrates et les Sociaux-démocrates se dirigent lentement vers la formation d’une grande coalition. Mais l’alliance avec les SPD et la montée du parti d’extrême droite AfD pourraient inciter Angela Merkel à se recentrer sur la politique intérieure allemande.

Le Royaume-Uni a longtemps été considéré comme un partenaire sur lequel la Chine pouvait compter pour ouvrir l’Europe aux entreprises chinoises et lutter contre les politiques antidumping soutenues par ses voisins européens. Bien que ce pays reste l’une des destinations majeures des investissements chinois en Europe, la question du Brexit et des futures relations entre Londres et Bruxelles n’étant pas encore réglée, le Royaume-Uni a perdu de son attrait pour Pékin.

D’autre part, les deux grands voisins méditerranéens de la France sont eux aussi confrontés à des problèmes de politique intérieure qui les empêchent de formuler une vision à long terme de leurs relations avec Pékin. Madrid doit faire face aux séparatistes catalans. Quant à l’Italie, de nouvelles élections législatives aux résultats incertains devraient se tenir en mars 2018.

La France, au contraire de ses voisins européens, jouit d’un contexte politique favorable. Le président Macron bénéficie d’une large majorité à l’assemblée nationale et aucune élection majeure au niveau national n’est prévue avant 2021. Emmanuel Macron dispose donc d’une certaine autonomie pour mener une politique étrangère ambitieuse.    

La légitimité renforcée pour le projet chinois 

Pour Pékin, la participation de la France au projet « One Belt, One Road » ou des « nouvelles routes de la Soie » est considérée comme une manifestation du nouveau leadership chinois. Bien que la France ne soit pas perçue comme une puissance commerciale majeure pour Pékin, notamment en raison de la faiblesse de ses exportations, elle reste une puissance politique importante sur la scène mondiale, et sa participation au projet chinois devrait inciter de nombreux autres états en Europe, mais aussi en Afrique à rejoindre les nouvelles routes de la Soie.

La position française devrait donner plus de poids à la proposition chinoise face à des projets régionaux similaires, mais concurrents, tel que le corridor économique Asie-Afrique mené par l’Inde. Le président Macron a ainsi proposé à son homologue chinois de réactiver le partenariat franco-chinois pour l’Afrique qui avait été lancé, sans succès en 2015.  Ce partenariat devrait prendre la forme d’une coopération financière entre l’Agence Française pour le Développement (AFD) et la Banque Agricole de Chine, et devrait privilégier les projets environnementaux. La lutte contre le réchauffement climatique et la protection de l’environnement en général sont devenues des sujets sur lesquels la France et la Chine partagent la même position.

L’environnement au cœur des stratégies industrielles chinoises et françaises

Le refus de l’administration américaine de ratifier l’accord de Paris sur le climat a été vu pour la Chine comme une opportunité de s’imposer sur la scène internationale comme une puissance responsable, de même pour la France qui entend défendre les résultats de la COP21 organisée à Paris en 2015.

Mais pour Paris comme pour Pékin, la volonté d’adopter une politique plus respectueuse de l’environnement répond aussi à des critères économiques. Le programme chinois des nouvelles routes de la Soie est en partie associé à celui du « Made in China 2025 » qui consiste à faire de la Chine la principale puissance innovante mondiale. Confrontée à une hausse du coût du travail, et à une prise de conscience environnementale, la Chine espère, à travers ce plan, délocaliser ses industries les plus polluantes et celles à forte intensité de main d’œuvre dans les pays en développement le long des nouvelles routes de la Soie, pour se concentrer dans les secteurs à forte valeur ajoutée au niveau national. La Chine cherche aussi à faire de ces pays des nouveaux marchés pour ses entreprises dans le secteur des énergies renouvelables, une industrie dans laquelle la Chine est le leader mondial. 

Emmanuel Macron  a compris l’intérêt qu’il pourrait tirer d’un partenariat avec la Chine dans le domaine de l’environnement et a proposé au président Xi Jinping que la France s’associe aux « routes vertes » de la Soie; il sait qu’une relance de l’industrie française ne pourra être possible qu’en développant les secteurs les plus innovants et les plus performants énergétiquement, et il espère qu’en rejoignant le projet des nouvelles routes de la Soie, les entreprises françaises auront plus facilement accès aux marchés des pays en développement dans l’ensemble de l’Asie. La participation à l’initiative « Belt and Road » pourrait aussi aider les entreprises françaises les plus innovantes à bénéficier plus largement d’investissements chinois, ce qui aiderait à la réalisation du souhait d’Emmanuel Macron de faire de la France une « start-up nation ».    

Le dernier jour de la visite officielle d’Emmanuel Macron en Chine, l’ambassadeur de l’Union Européenne à Pékin, annonçait que l’Europe dévoilerait bientôt sa propre stratégie concernant le projet chinois des nouvelles routes de la Soie. Pour se revendiquer comme l’interlocuteur privilégié de la Chine, Emmanuel Macron devra prendre la tête de cette initiative européenne. Nul doute que Pékin restera très attentif à l’implication de la France et de ses voisins dans ce projet.

Une analyse de Sébastien Goulard — Consultant fondateur du cabinet de conseil Cooperans

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Notes :