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Vietnam. Un sous-marin de la classe Kilo de la Marine vietnamienne. © Droits réservés.

Le Viêt Nam à l’ère Joe Biden

Une intense question que se pose Hanoi : Que signifiera une présidence Biden pour les relations américano-vietnamiennes ? Une question pour trois sujets : la Mer de Chine méridionale, le commerce et les droits de l’homme.

D’anciens ennemis, les États-Unis et le Viêt Nam sont devenus partenaires lorsqu’ils ont formé un partenariat global en 2013. Sous l’administration Trump, les relations américano-vietnamiennes ont fait des progrès remarquables. Alors que Joe Biden est sur le point de devenir le 46e président des États-Unis, la politique étrangère américaine devrait changer d’expression de manière significative.

Qu’est-ce qui va changer ?

Le bilan du Viêt Nam en matière de droits de l’homme est la question la plus sensible dans ses relations avec les États-Unis. Bien que Washington reconnaisse que Hanoi a fait quelques progrès, des inquiétudes américaines subsistent en ce qui concerne la liberté d’expression, la liberté de religion, les droits des minorités ethniques et les droits du travail.

Les droits de l’homme

Les membres du Congrès américain, en particulier ceux dont les circonscriptions comprennent d’importantes populations vietnamo-américaines, ont fait pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il critique la pratique du Viêt Nam en matière de droits de l’homme.

L’administration Trump, cependant, a minimisé la question et la promotion des droits de l’homme dans ses relations avec Hanoi. Le président Donald Trump n’a pas soulevé la question auprès des dirigeants vietnamiens, bien qu’il ait eu l’occasion de le faire lors de son discours au sommet de l’APEC de Da Nang en 2017, lorsqu’il a ensuite rencontré le président Tran Dai Quang (1956-2018), et lors de sa deuxième visite d’État à Hanoi en 2019, au sommet américain nord-coréen.

Le sujet des droits de l’homme était également absent de la déclaration du Secrétaire de presse – porte-parole de la Maison-Blanche Kayleigh McEnany commémorant les 25 ans de relations diplomatiques entre les États-Unis et le Viêt Nam en juillet 2020, qui n’évoquait de façon générale que des liens de peuple à peuple, du commerce et des investissements, des problèmes hérités de la guerre, des liens militaires et de la résolution pacifique des différends.

Contrairement à Donald Trump, le président élu Joe Biden s’engage à donner la priorité aux engagements des États-Unis dans « la lutte contre la corruption, la défense contre l’autoritarisme et la promotion des droits de l’homme dans leur propre pays et à l’étranger ».

En fait, Biden était vice-président des États-Unis lorsque les États-Unis ont prêté — encore — attention à la pratique des droits de l’homme au Viêt Nam. Le président Barack Obama a discuté des questions relatives aux droits de l’homme avec les dirigeants vietnamiens lors de son discours d’accueil du président Truong Tan Sang à la Maison-Blanche en 2013, lors de sa rencontre avec le Secrétaire général du Parti communiste vietnamien Nguyen Phu Trong au Bureau ovale en 2015, et lors de son discours au peuple vietnamien à l’occasion de sa visite d’État à Hanoi en 2016.

Plus important encore, Joe Biden s’engage à renouveler la démocratie américaine dans son pays et à la promouvoir à l’étranger. Il affirme que « la démocratie n’est pas seulement le fondement de la société américaine », mais aussi « la source de notre pouvoir » et que pour Joe Biden, la démocratie est sa valeur et celle de son pays. Ce sont les raisons de croire que l’administration Biden abordera la question des droits de l’homme au Viêt Nam dans ses relations avec Hanoi.

Le déficit commercial

L’une des principales sources d’irritations dans les relations commerciales bilatérales est le déficit commercial américain avec le Viêt Nam. Ce chiffre n’a cessé de croître depuis 1997 et a dépassé les 20 milliards de dollars depuis 2014. De 39,5 milliards de dollars en 2018, il est passé à 55,8 milliards de dollars en 2019, et malgré les perturbations commerciales causées par la pandémie de COVID-19, le chiffre a atteint 42,36 milliards de dollars en août 2020.

Donald Trump s’est plaint à plusieurs reprises de l’important excédent commercial du Viêt Nam avec les États-Unis. En février 2020, son administration a retiré le Viêt Nam de la liste des pays en développement qui bénéficient de facto d’avantages commerciaux préférentiels dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Bien que le rapport du département du Trésor américain en janvier 2020 ait constaté que le Viêt Nam ne dépassait le seuil que pour un seul des trois critères de dévaluation de la monnaie — le déficit commercial bilatéral —, le Bureau du Représentant américain au commerce (USTR) a lancé tout de même une autre enquête sur la sous-évaluation présumée de la monnaie vietnamienne en vertu de l’article 301 en octobre 2020. Le 4 novembre 2020, le ministère américain du Commerce a annoncé qu’il imposerait des droits de douane sur les véhicules de tourisme et les pneus des utilitaires en provenance du Viêt Nam.

Il est probable que l’administration Biden adoptera une approche plus souple dans le traitement de l’excédent commercial du Viêt Nam. Elle aura plusieurs options, notamment le maintien du tarif douanier à l’encontre du Viêt Nam, le dépôt d’une plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce, la recherche d’une compensation par la négociation, ou tout simplement l’abandon du dossier.

Il est important de noter que l’augmentation du déficit commercial américain avec le Viêt Nam est en partie due à la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Certains volumes des marchandises entrant aux États-Unis provenant de Chine se sont reportés vers le Viêt Nam. En outre, M. Biden ne croit pas aux barrières commerciales et au protectionnisme, de sorte qu’il est peu probable que son administration continue à imposer des droits de douane au Viêt Nam.

Qu’est-ce qui va continuer ?

Dans le contexte de la concurrence stratégique entre les États-Unis et la Chine, le Viêt Nam est devenu de plus en plus important dans la politique étrangère américaine. L’administration Trump a identifié le Viêt Nam comme un partenaire économique et sécuritaire émergent dans la stratégie de sécurité nationale américaine de 2017, la stratégie de défense nationale américaine de 2018 et dans le rapport indopacifique de 2019.

Les actions provocatrices et unilatérales de la Chine dans la Mer de Chine méridionale ont rapproché le Viêt Nam des États-Unis à un rythme remarquable. Beaucoup plus que ce qu’on peut voir en surface.

Le partenariat stratégique

Les deux pays sont devenus des partenaires à part entière en 2013. L’administration Trump a renforcé ses relations avec Hanoi sur différents plans et a promis de renforcer leur partenariat global dans une déclaration commune publiée en 2017. Le Viêt Nam est désormais le 10e partenaire commercial des États-Unis.

Joe Biden précise que « les États-Unis doivent être fermes avec la Chine… Le moyen le plus efficace de relever ce défi est de constituer un front uni d’alliés et de partenaires américains pour faire face aux comportements abusifs de la Chine ».

Il promet d’approfondir les partenariats afin de faire progresser les valeurs communes dans une région et de maintenir la diplomatie comme principal outil de la politique étrangère américaine. Pour lui, la réponse à la menace chinoise est « plus d’amitiés, plus de coopération, plus d’alliances ». Par conséquent, Joe Biden continuera à renforcer le partenariat des États-Unis avec le Viêt Nam.

La Mer de Chine méridionale

Lors de l’incident du banc Vanguard en Mer de Chine méridionale au début du mois de juillet 2019, au cours duquel le navire de recherche chinois Haiyang Dizhi 8 et ses escortes armées sont entrés dans la zone économique exclusive (ZEE) du Viêt Nam, l’administration Trump a publié une série de déclarations énergiques critiquant la Chine pour sa coercition et son ingérence dans les activités pétrolières et gazières de longue date du Viêt Nam.

En juillet 2020, le Secrétaire d’État américain Michael R. Pompeo a publié une déclaration sur la position américaine sur les revendications maritimes en mer de Chine méridionale.

La déclaration indique clairement que « les revendications de Pékin sur les ressources côtières et extracôtières dans la plus grande partie de la Mer de Chine méridionale sont totalement illégales, tout comme sa campagne d’intimidation pour les contrôler ».

Cette déclaration de Michael R. Pompeo aligne également la position américaine sur les revendications maritimes de la Chine dans la Mer de Chine méridionale sur la décision de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye de 2016 dans l’affaire « Philippines vs Chine ». Elle confirme en outre que « l’Amérique est aux côtés de ses alliés et partenaires d’Asie du Sud-Est pour protéger leurs droits souverains sur les ressources côtières et extracôtières, conformément à leurs droits et obligations en vertu du droit international ».

Comme la poursuite affirmée par la Chine de ses revendications en Mer de Chine méridionale menace la liberté de circulation maritime qui est essentielle aux intérêts nationaux des États-Unis, Joe Biden continuera à adopter une position ferme à l’égard de la Chine et à soutenir d’autres parties réclamantes en Mer de Chine méridionale, y compris le Viêt Nam.

Les soutiens américains aux forces maritimes vietnamiennes

Sous l’administration Trump, les liens de défense entre les États-Unis et le Viêt Nam se sont considérablement développés. Les États-Unis ont aidé le Viêt Nam à améliorer ses capacités de maintien de l’ordre et sa sécurité maritime.

Les Garde-côtes américains ont transféré un navire de commandement de la classe Hamilton aux Garde-côtes vietnamiens en mai 2017 et ont promis d’en livrer un deuxième en 2020. Washington a également fourni 18 patrouilleurs rapides « Metal Shark » à Hanoi entre 2017 et 2019.

Le ministre américain de la Défense de l’époque, Jim Mattis, s’est rendu au Viêt Nam à deux reprises en 2018. L’US Navy a envoyé en visite deux porte-avions au port vietnamien : le USS Carl Vinson en mars 2018 et le USS Theodore Roosevelt en mars 2020. Le Viêt Nam a rejoint l’exercice Rim of the Pacific (RimPac) en 2018 et a été invité à y participer à nouveau en 2020 — une participation avortée en raison de la pandémie de CoVid-19. Comme les inquiétudes concernant la Chine demeurent, on s’attend à ce que les États-Unis sous Joe Biden continuent à renforcer les liens de défense avec le Viêt Nam.

Les deux pays se dirigent ferme vers un partenariat stratégique. Toutefois, le rythme de cette marche dépend de la manière dont Hanoi améliorera son bilan en matière de droits de l’homme et de la façon dont l’administration Biden gérera le déficit commercial américain avec le Viêt Nam.

Tran T. Bich (Washington DC)

Bio : Tran T. Bich est doctorante à l’Université d’Anvers (Belgique) et chercheuse au Centre de recherche sur les affaires mondiales de l’Université Ryukoku (Japon).

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Photo de Une : Un sous-marin de la classe Kilo (Russie) de la Marine vietnamienne près de sa base de Cam-Ranh (Centre). © Sources privées – Droits réservés.

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Note de la rédaction : Cet article a été initialement publié en anglais dans la revue européenne Modern Diplomacy. Il est republié ici avec l’accord de l’auteure. La traduction, l’édition et l’adaptation ont été réalisées par la rédaction d’Asie Pacifique News. Le titre, les sous-titres sont également de la rédaction.

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