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La Peur - Illustration

Discours Biopolitique à l’âge du coronavirus : Corps clinique et corps social

#PointDeVue. Cet article se concentre sur l’émergence et la fonction d’un discours particulier dans la crise sanitaire du coronavirus. Nous traitons ici du concept du corps clinique, du corps social et politique menacés par ce que les médias déclenchent farouchement et à peine, sur le plan éthique, comme peur et angoisse dans la population. La machine médiatique traite depuis le début de cette crise le corps clinique comme un « étranger » à « abattre », à travers des images sur « l’origine du virus corona », des sarcasmes, des blagues tirées du vocabulaire médical pour le même et seul but de déshumaniser « l’Autre » en le considérant en tant que menaces biologiques (tirées à la fois du raisonnement scientifique et de la représentation métaphorique). Cela fonctionne et a toujours fonctionné pour déshumaniser, légitimer, motiver et justifier pourquoi « l’Autre » est inférieur[1]. Dans ce dilemme, l’espoir d’un corps social surgi.

Le corps social et ses différentes significations comme porteurs de langage et de sens a depuis toujours favorisé de l’intérêt des anthropologues, des politiques, des sociologues et des médias. Avec l’affluence du coronavirus, son importance et sa dangerosité, le corps autant clinique que social deviennent l’affaire de tous.  En temps normal, le corps social et le corps clinique font deux. L’un peut vivre en retrait tant dis que l’autre continue sa fonction dans la société et son appartenance à celle-ci. Dans le cas d’une pandémie, le corps social est exclu, banni et interdit de sa fonction essentielle dont la sociabilité. Il devient l’Autre dangereux victime du corps clinique car transmetteur de maladie et peut-être même complice. Il se transforme en menace interne et externe à gérer, à combattre peut-être même. Toutefois, paradoxalement, nous remarquons dans le cas de chaque phénomène virologique planétaire, une solidarité considérable dans et par les communautés et les gouvernements. Le moi « individu » s’efface pour laisser la place à nous « collectif » dans sa fonction et sa responsabilité de coopération.

La solidarité est à triple sens. Nous la voyons d’une part, de la collectivité vers les individus et les groupes vulnérables, chacun de nous et tous assurons les moyens nécessaires pour protéger les la santé de ceux en position de vulnérabilité et de risques. D’autre part, cette solidarité renvoie au rôle que joue chaque individu à risque en s’excluant de la vie sociale par la négation de soi et de ses besoins primaires de sociabilité dont la proximité pour la même raison de protéger la collectivité même du moi « individu ». Cette solidarité citoyenne renvoie à un accord des citoyens à sacrifier une partie de leur autonomie et de leurs intérêts privés pour le bien commun. Telles sont, par exemple, les mesures de quarantaine. Et finalement, la solidarité de l’état associée à la responsabilité paternaliste pour protéger la santé comme bien commun. Cette position s’exprime dans les stratégies et les choix de l’état quant à sa réaction au coronavirus. Ces choix se révèlent dans les discours médiatiques et politiques, dans les priorisations des options, dans l’évaluation des risques, dans la prise en charge des populations vulnérables médicalement, socialement, financièrement à court et à moyen terne, dans la capacité de ces gouvernements à s’adapter rapidement à toute évolution attendue ou inattendue, dans leur moyens et efficacité de communication, etc.

L’état subitement, agissant au nom de la collectivité, exprime un sentiment d’empathie, de conscience de l’autre à l’égard des souffrances vécues par certains et un engagement à leur porter assistance. Nous le vivons en ce moment avec la position de deux systèmes très divers à tous les points de vue mais avec des réactions similaires teintées d’empathie. Nous citons la réaction du gouvernement Trudeau du Canada et la réaction du Royaume du Maroc.

Nous aurions aimé voir cette solidarité sur le plan mondial dans le sens où, il existerait en droit international des moyens contraignant les états et les laboratoires à coopérer et à lever le droit à la propriété intellectuelle en cas de pandémie ou d’épidémie. Malheureusement, dans son rôle actuel, le Conseil de sécurité de maintien de la paix, ne peut exiger cela des gouvernements. Macron, n’at-il annoncé aux français qu’ils étaient en situation de guerre contre le coronavirus ! Le coronavirus n’est-il pas en ce moment une menace à la paix ? Y-a-il d’autres considérations que le Conseil de sécurité oublie dans ses recommandations pour convaincre les gouvernements à lever le droit à la propriété intellectuelle sur les vaccins et les antidotes des virus et des maladies infectieuses ? Pourquoi la solidarité sanitaire est laissée en bon vouloir des états[2]?

Seul le Canada a su avoir une dérogation à ce droit de propriété intellectuelle et autoriser un fabricant de génériques à exporter un médicament breveté au Rwanda afin d’apporter de l’aide dans la lutte contre le VIH. Cette initiative n’a pas été prise par aucun autre gouvernement. Aucun autre pays n’a usé de cette dérogation à ma connaissance, laissant certains affirmer qu’il s’agit, d’un « outil emblématique de la protection internationale de la santé publique au Sud »[3]. À la lumière de ce qui ressort de ces réalités juridiques et/ou politiques, nous ne pouvons parler aujourd’hui de préoccupation sécuritaire sanitaire collective globale. L’empathie exprimée reste locale, conditionnée et politisée!

L’empathie est une compétence sûre en gestion. Les études récentes démontrent son importance dans le profil des gestionnaires. Il est vrai que les chefs d’états sont élus et ne sont soumis à aucun test de compétences managerielles ni cognitives. Pourtant, si c’était le cas, la situation mondiale serait bien différente ! Car l’empathie, c’est cette capacité d’une personne à percevoir ou imaginer les sentiments et les sensations d’une autre personne, et donc de pouvoir se mettre à sa place et donc de s’en faire une représentation mentale. Cette « conscience de l’autre » n’est pas innée. Elle se développe très tôt chez les individus grâce à la sensibilisation, l’éducation et les expériences de la vie. Elle prend sa place graduellement par l’observation et l’imitation des personnes de son entourage. Mais, selon des chercheurs de l’université de Cambridge entre autres, l’empathie pourrait relever aussi de la génétique[4]. Ces études démontrent que les « variants » génétiques associées à une plus faible empathie sont également liées à un risque plus élevé d’autisme dans le sens où les individus qui y sont atteints, présentent d’importantes perturbations des relations sociales du fait, entre autres, d’un déficit en « théorie de l’esprit[5] ». Ce postulat nous amène à insister sur l’importance de l’empathie dans la gestion des pandémies et l’importance de cette compétence chez les chefs de gouvernements et les décideurs. Par ailleurs, Alexandre Baratta, psychiatre et praticien hospitalier, assure que l’empathie existe chez tout individu, avec une proportion différente sauf anomalie neuropsychologique ou neurobiologique.[6]

Cette capacité de conscience de l’autre ou d’empathie, qui avouons-le, n’est pas accessible à tout le monde, pas au même niveau en tout cas, nous ramène à réfléchir sur la réaction des états ou des pouvoirs sanitaires et plus particulièrement des médiats face aux pandémies. Je pense particulièrement à l’Italie et à l’Espagne !

Renaissance du Capital Social

La demande que font généralement les états aux populations en cas de pandémie se présente en forme de catalogue de consignes à respecter. Le rôle des sciences humaines et sociologiques est justement de présenter un autre point de vue, un angle délaissé par la caméra médiatico-politique. C’est aussi d’amener les manipulateurs des instruments médiatico-politiques à faire preuve d’empathie en prenant en considération le mental de la population en santé, des malades et leurs familles. Bien souvent les manipulateurs de ces instruments choisissent d’ignorer toutes les émotions, les angoisses, le stress, l’inconfort et l’insécurité psychologique que leurs manipulations engendrent chez les individus et dans les familles. Sachant que le stress, à lui seul, peut générer ou accélérer certaines maladies chroniques, qui en cas de pandémie ne ferait que faire dégénérer la situation.

Face à cette situation de stress et d’insécurité psychologique, certains comportements pouvant paraitre aberrants et irrationnels pour la logique épidémiologique médicale, mais ont certainement leur réponse dans l’anthropologie.

Ces comportements sont observables non seulement dans les pays dits exotiques et lointains ou dans chez les minorités culturelles mais ici tout près, chez soi ou chez le voisin d’à côté : sinon comment pourrait-on expliquer la ruée sur l’achat du papier hygiénique au Canada aussitôt que les autorités ont déclaré l’arrivée du coronavirus ? Comment expliquer le fait que les gens s’appliquent du désinfectant sur les mains pendant qu’un individu éternue à l’autre bout au lieu de détourner le visage ou se le cacher ? Comment expliquer ces positions sur les réseaux sociaux attribuant le coronavirus à de la surconsommation et à la cupidité des humains et qu’il faut se laisser faire pour s’absoudre de ses pêchés ? Comment expliquer que les gens changent de trottoir quand ils aperçoivent un membre de la communauté chinoise sur leur chemin ?

Le relativisme empathique anthropologique et la connaissance des théories locales nourries par des systèmes de pensée culturels, la connaissance des théories scientifiques et parascientifiques de la contamination aperçue comme une « souillure » pourraient permettre d’expliquer et peut-être de prévenir les réactions politiques et sociales, individuelles et collectives, certaines stigmatisations des individus atteints ou jugés responsables de la propagation du Coronavirus.

Corps politique et menace biologique

Selon Rowan Sage[7], l’association entre race, origine ethnique et maladie n’est pas nouvelle. Une maladie qui menace une société vient invariablement « d’ailleurs » par exemple, la syphilis au début était « variole française » pour les anglais, « maladie chinoise » pour les japonais. L’avènement de la modernité a cependant permis à cette association entre ascendance et pureté de motiver les mauvais traitements, l’expulsion et la destruction complète de l’Autre (2007). En effet, en Hongrie, Gyorgy Bakondi, conseiller de Viktor Orban a déclaré : « Nous voyons un certain lien entre le coronavirus et les migrants illégaux »[8]

Le maire de Toronto, John Tory, a dû réagir contre le déferlement des de commentaires racistes formulés à l’encontre des membres de la communauté chinoise suite à l’infection du Coronavirus Il a dit : « Nous ne pouvons pas laisser la peur ou l’ignorance triompher sur nos valeurs communautaires de bienveillance, de respect et de rejet de la discrimination ou de la stigmatisation »[9]

La peur a clairement une incidence sur nos relations sociales. Elle peut entraîner une suspicion à l’égard d’autrui. La peur rend vulnérable et active des systèmes de pensée simplistes, réducteurs, stigmatisants et racistes. Elle rend l’individu incapable de traiter l’information de façon rationnelle et intelligente.

Par conséquent, nous constatons que le coronavirus et ses divers symptômes trouvent leur place dans les médecines alternatives ou ethnomédecines locales, chez les négationnistes, les religieux, les scientifiques, les mystiques. Tous offrent leurs services qui s’avèrent tous efficaces dépendamment de l’état psychique et le choix du système de valeurs dont chaque individu dispose !

Pour les cas mortels, chacun de ces systèmes propose un diagnostic, une lecture et une relation de cause à effet. Tantôt des explications cartésiennes. M. Trudeau, ayant tardé à fermer les frontières, n’a-t-il pas été accusé de manque de leadership et responsable directement de l’augmentation des cas d’infection au Canada? Simultanément, les réactions persécutrices, de théories de complot, de vengeance divine, de ruptures d’interdits, d’injustice internationale et de violation de l’ordre écologique, social et religieux voient le jour, avec toutes les solutions associées et les intérêts économico-politiques sous-jacents.

Toutes ces réactions peuvent cohabiter sur le même territoire. L’une ou l’autre peut également caractériser une société donnée. Par conséquent, la connaissance du fonctionnement d’une société permet d’anticiper les mesures de prévention et de prise en charge sur le terrain.

Le Royaume du Maroc a été parmi les premiers pays à fermer ses frontières laissant des milliers de Marocains à la frontière espagnole leur interdisant l’accès au territoire.  Cette décision des autorités a été qualifiée de scandaleuse ! Nous ne pourrions jamais convaincre une famille marocaine d’isoler ces aînés par prétexte de les protéger contre le coronavirus. La volonté divine l’emportera quel que soit la conséquence de cette décision. Contrairement au Canada, cet isolement se verrait une preuve d’amour, de protection et de respect envers les aînés.

Pour imposer le confinement, les sociétés réagissent de différentes façons. Pendant que le Canada sensibilise les citoyens avec des compagnes de communication et d’éducation, le Maroc instaure un modèle militaire et descend les forces armées dans les rues après des campagnes de sensibilisations jugées insuffisantes.

L’Espagne, L’Italie, et les États-Unis ont dû aussi avoir recours aux militaires pour gérer la crise du coronavirus.

Le coronavirus est aussi l’occasion d’opportunités éthiques et non éthiques, formelles et informelles, un élévateur social, politique et économique, des convoitises à diverses mesures. Le président américain a tenté d’acheter des scientifiques allemands et de s’approprier un projet de vaccin contre le coronavirus développé par un laboratoire allemand. L’Allemagne « n’est pas à vendre », a protesté le ministre de l’Économie Peter Altmaier[10] sur la chaîne de télévision publique ARD.

Boris Johnson, premier ministre de Grande-Bretagne a eu toute une autre réaction soulevant tout un choc international. Il promulguait un modèle écologique, une immunisation efficace de la population, non pas par la vaccination, mais par la diffusion et la sélection « naturelle » du Coronavirus !

Dans les circonstances actuelles, en collaboration avec un réseau multidisciplinaire, les différentes analyses que l’anthropologue, peuvent proposer des réponses, des lectures ou au minimum, des pistes de réflexion outre que médiatico-politiques. Ces analyses peuvent, à notre sens, réduire ou contribuer à réduire considérablement l’angoisse et le stress provoqués par l’infobésité médiatique ! Cette infobésité déclenche et généralise un déchainement de sentiment de peur contagieux provoquant ainsi des comportements convulsifs et extrêmes de tout genre, sans parler de la fragilisation psychique et physique que cela engendre dans la société, sans aucun égard à la sensibilité et la capacité d’adaptation des populations, face à un danger invisible à l’œil nu vis-à-vis duquel l’humanité entière est impuissante.

L’intervention de l’anthropologue dérive de ce que Alain Epelboin[11] appelle les « recommandations compréhensives ». L’approche compréhensive traite des personnes et non pas des organes, des corps et des populations anonymes infectés par le virus. Cette approche empathique et humaniste tente à réduire la souffrance, l’angoisse et le stress. Cette approche renforce le système immunitaire. La relation est directement causale et prouvée par la médecine.

Le fait que le coronavirus soit si présent partout dans les médias est un signal en soi : si on en parle autant, c’est que c’est grave.

Pourrions-nous demander à la machine politico-médiatique de ralentir et réfléchir sur les conséquences dommageables du coronavirus et de calculer les contrecoups de sa couverture exempte de toute approche compréhensive dans son sens anthropologique ?

Par Nadia Kajjou[1] et Abdelkader Filali[2]

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[1] Nadia Kajjou.  Ph.D. Psycholinguistique et Sémiotique – Administratrice agrée en Gestion des Ressources Humaines

[2]Abdelkader Filali, Ph.D. Études politiques et sécurité

[1] Rowan Savage. 2007. (“Disease Incarnate”: Biopolitical Discourse and Genocidal Dehumanisation in the Age of Modernity. Journal of Historical Sociology Vol. 20 No. 3

[2] Louis BALMOND, « Le Conseil de sécurité et la crise d’Ebola : entre gestion de la paix et pilotage de la gouvernance globale », Questions de droit international, Décembre, 23, 2014.

[3] Céline GRILLON, Brevets et accès aux médicaments : Les blocages sont politiques et non juridiques, Programme Humanitaire & Développement, Avril, 2017, https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2017/05/Obs-sant%C3%A9-ADPIC-Avril-2017.pdf

[4] “Genome-wide analyses of self-reported empathy: correlations with autism, schizophrenia, and anorexia nervosa”, Translational Psychiatry, March 2018.

[5] La théorie de l’esprit désigne, en sciences cognitives, non pas une théorie, mais l’aptitude cognitive permettant à un individu d’attribuer des états mentaux inobservables à soi-même ou à d’autres individus, Wikipédia.

[6] Alexandre Baratta, Expertise post-sentencielle et évaluation du risque de récidive, L’information psychiatrique, 2011/8 (Volume 87), pages 657 à 662

[7] Rowan Savage. 2007. (“Disease Incarnate”: Biopolitical Discourse and Genocidal Dehumanisation in the Age of Modernity. Journal of Historical Sociology Vol. 20 No. 3

[8] https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Migrants-coronavirus-nouvel-amalgame-nationalistes-europeens-2020-03-04-1201082092

[9] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1497016/coronavirus-chinois-prejuges-virus-sante-toronto-cas

[10] https://www.lapresse.ca/actualites/sciences/202003/15/01-5264765-bras-de-fer-germano-americain-autour-dun-vaccin-contre-la-covid-19.php

[11] Alain Epelboin « En et hors crise : que reste-t-il après une formation en anthropologie auprès de soignants ? » Anthropologie et médecine : Confluences et confrontations dans les domaines de la formation, des soins et de la prévention, Colloque international, Paris, 2008.

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