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Mer de Chine méridionale et orientale - Image satellite.

Mer de Chine du Sud : des doutes sur le tracé en neuf / dix traits ? Par le Général (2s) Daniel Schaeffer

Le sommet d’APEC 2017 Vietnam se déroule cette semaine — du 6 au 11 novembre 2017 — à Da-Nang, une ville côtière du centre du Vietnam où se rencontrent les dirigeants des pays les plus puissants du monde : Donald Trump, Xi Jinping, Vladimir Poutine, Shinzo Abe,… Dans les couloirs de la conférence, on pratique la devinette sur la déclaration à venir — prévue le 11 novembre 2017 — sur la politique américaine à la sauce Donald Trump en Asie-Pacifique.

Tout le monde parle et parlera d’économie, du développement durable dans l’intérêt général. On évite les sujets sous-jacents qui fâchent. Et le conflit maritime en Mer de Chine est l’un d’eux. La rédaction d’Asie Pacifique News présente ici l’analyse — portée sur l’aspect stratégique du conflit — du général Daniel Schaeffer.

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Une information court selon laquelle les Chinois passeraient à un nouveau concept pour présenter leurs revendications en mer de Chine du Sud, un concept qui verrait, à terme, l’abandon du tracé en neuf / dix traits. Asie21 appelle pour sa part les plus grandes réserves quant à cette interprétation un peu rapide d’une présentation faite par une personnalité chinoise à des fonctionnaires américains au mois d’août dernier.

Le 21 septembre 2017, dans un article paru sur Washington Free Beacon, Bill Gertz rédacteur en chef du site et par ailleurs éditorialiste des pages sécurité nationale du Washington Times, fait état de ce qui pourrait être une nouvelle stratégie de Pékin pour tenter de faire valider ses prétentions sur la mer de Chine du Sud.

Cette nouvelle stratégie aurait été présentée à la fin de ce mois d’août 2017 par Ma Xinmin, directeur adjoint du département des traités et du droit du ministère chinois des affaires étrangères à l’occasion d’une réunion à huis clos avec des fonctionnaires du département d’Etat américain, à Boston.

Selon le journaliste, les Chinois présenteraient désormais leurs revendications selon quatre vastes olives qui couvriraient les quatre groupes d’îles que sont les Pratas, les Paracels, les Spratleys et le banc Macclesfield, tous baptisés « sha ». Littéralement cela signifie « sables » en chinois, mais en la circonstance il apparaît préférable de la traduire plutôt sous par le terme de « bancs » afin de mieux refléter la réalité physique de ces reliefs marins.

Pour justifier leur théorie les Chinois prétendraient que cette nouvelle représentation correspondrait à l’extension de leur plateau continental, entendons plateau continental juridique tel que le concept — article 76 — en a été arrêté dans la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM). Sans parler franchement d’un abandon des prétentions chinoises selon le tracé en neuf traits, Bill Gertz présente le « nouveau » concept comme un déport de celui de la ligne en neuf traits (« a shift from China’s so-called « 9-Dash Line » »).

Tout nouveau, tout beau, cette information admise presque argent comptant est relayée, avec certaines précaution toutefois, par de nombreux chercheurs, notamment anglo-saxons.

Sur cette base, Asie21 estime que les plus grandes réserves sont à émettre quant à l’interprétation que donne Bill Gertz, journaliste de grand renom, de ce qui apparaîtrait être une modification de la stratégie chinoise de revendication sur la mer de Chine du Sud. Cela quand bien même il a sollicité plusieurs avis autour de lui. Parmi les spécialistes interrogés il faut relever que le capitaine de vaisseau Jim Fanell, en retraite, ancien directeur du renseignement de la flotte du Pacifique, se montre sceptique quant à cette nouvelle théorie puisqu’il dit, au conditionnel, que « si le programme des quatre bancs est confirmé il apparaît être la prochaine étape logique de Pékin dans sa stratégie des « tranches de salami (*) » »

Pourquoi à ce stade émettre de telles réserves sur l’interprétation à donner au discours de Ma Xinmin ?

D’abord parce qu’il semble que Bill Gertz interprète un peu vite le discours de Ma Xinmin qui, en faisant sa présentation des quatre bancs, n’a jamais dit que ce concept venait en remplacement de celui du tracé en neuf traits.

Toutefois il ne serait pas impossible que petit à petit, pour sauver la face, les Chinois en viennent à entretenir le flou sur une présentation simultanée des deux concepts, présentation dans laquelle, le temps aidant, sans que cela soit dit ou ne paraisse, les neuf traits finiraient par s’estomper avant de se diluer complètement. Hypothèse malgré tout douteuse car pour l’heure ce n’est vraiment pas ce qui se dessine, compte tenu de la férocité avec laquelle Pékin fait pression sur les autres riverains de la mer de Chine du Sud pour tenter de faire valoir des droits indus sur les franges limites du tracé en neuf /dix traits.

La seconde observation est que, en dehors du « sha » des Pratas, le concept des « sha » n’est pas nouveau puisque, comme le rappelle à juste titre Bill Gertz dans son article, les Chinois ont créé la quasi préfecture des « trois bancs » (san sha) en 2012, le 21 juin plus exactement. Elle a son chef-lieu sur l’île Boisée (Woody Island en anglais, Yongxing Dao en chinois, Đảo Phú Lâm en vietnamien), dans les Paracels. Subdivision organique de l’île-province de Hainan, sa responsabilité s’étend aux Paracels, aux Spratleys et à l’archipel du banc du Milieu (Zhongsha qundao), ce dernier improprement traduit par banc Macclesfield. Il est improprement traduit « banc Macclesfield » parce que ce haut-fond est inclus par les Chinois dans un concept globalisant, celui de l’archipel factice du « banc du Milieu » qui non seulement regroupe plusieurs hauts-fonds, en permanence submergés, mais s’accroche à un point focal constitué par les récifs de Scarborough. Ces derniers sont les vestiges d’un atoll effondré dont n’émerge plus qu’une myriade de rochers épars. Il est situé à quelque 130 milles marins, approximativement 240 kilomètres, à l’ouest de la grande île philippine de Luzon. C’est grâce à cet accrochage aux Scarborough que peut vivre ce concept d’« archipel du banc du Milieu », totalement impropre en regard du droit de la mer. Son initiateur, défenseur et précurseur de longue date, est le professeur Zou Keyuan, professeur titulaire de la chaire Harris à l’école de droit du Lancashire (Lancashire School of Law) de l’Université du Lancashire Centre (University of Central Lancashire), à Preston, au Royaume Uni. Il en fait une brillante autant qu’ahurissante démonstration dans un véritable morceau de bravoure, par ailleurs et à l’époque de son émission prémonitoire des événements qui touche Scarborough depuis avril 2012. Cet article est intitulé « Scarborough reef : a new flashpoint in sino-philippine relations ». Il a été publié à l’été 1999 dans le Boundary and Security Bulletin (la Revue des frontières et de la sécurité).

Que vienne s’ajouter un quatrième « sha » aux trois premiers, pourquoi pas ? Puisque de toute façon les Pratas se situent dans la partie nord de la mer de Chine du Sud. Mais là le conflit d’intérêt ne concerne que les Chinois entre eux, ceux de la Chine continentale et ceux de Taïwan. Il ne concerne ni le Vietnam, ni les Philippines, et encore moins la Malaisie, Brunei ou l’Indonésie.

En tout état de cause, quelle que soit la façon dont un responsable chinois présente l’administration, version chinoise, de la mer de Chine du Sud, en quatre grands secteurs archi-pélagiques, avec ou sans tracé en neuf traits, sous prétexte que cela correspond au plateau continental étendu (PCE) du pays, est totalement erroné pour plusieurs raisons :

•    Le verdict rendu le 12 juillet 2016 à La Haye par la cour permanente d’arbitrage (CPA), dans le procès Philippines contre Chine, a démontré que les prétentions chinoises à mer territoriale sur la quasi-totalité de la mer de Chine du Sud dépassaient de beaucoup trop loin les limites auxquelles Pékin peut légalement prétendre à partir de ses côtes naturelles. Ce que refuse de reconnaître Pékin.

•    A supposer que Pékin finisse par admettre la réalité de ses vrais droits, il lui faudrait, pour faire accepter une telle prétention à PCE en s’appuyant sur le concept des quatre « sha », que sa souveraineté soit reconnue au moins sur les trois du Sud. Ce qu’elle n’est pas pour les Paracels, en litige entre Pékin et Hanoï. Ce qu’elle n’est pas non plus pour les Spratleys pour lesquelles elle est en conflit avec le Vietnam pour la totalité de l’archipel, partiel avec les Philippines, la Malaisie et Brunei, ces quatre derniers étant eux-mêmes en conflit entre eux pour partie de ce groupe d’îles. Sur les récifs de Scarborough, investi par Pékin contre les Philippines depuis avril 2012, la souveraineté chinoise n’est pas davantage reconnue. Enfin, la Chine ne peut en aucun cas prétendre à souveraineté sur les hauts-fonds de cette mer, tels que les bancs Macclesfield, ou Truro, lui aussi inclus dans le concept de Zhongsha qundao, puisqu’une telle prétention est en totale contradiction avec la CNUDM. Ce que la CPA a rappelé dans son jugement du 12 juillet 2016.

•    La Chine ne peut en aucun cas s’appuyer sur sa revendication sur les archipels pour avancer une quelconque prétention à PCE à partir de ces espaces.

•    Dans son jugement en effet, la CPA a démontré que Scarborough, qui qu’en soit le souverain, ne pouvait avoir droit qu’à une mer territoriale et à une zone contigüe seulement, et en aucun cas à une zone économique exclusive (ZEE), et par conséquent pas du tout à plateau continental étendu.

•    De même la Chine ne pourrait pas du tout appuyer sa revendication à partir de l’archipel des Spratleys puisque la CPA a démontré que les structures morphologiques qui le constituait n’avaient aucune cohérence entre eux et que, en conséquence, cet ensemble ne pouvait pas constituer un archipel, mais seulement un groupe éclaté et incohérent d’îles. S’ajoute à cela le fait que les Spratleys n’étant pas un Etat, ni constitutive d’un Etat, elles ne peuvent recevoir la dénomination d’archipel.

•    Enfin pour pouvoir prétendre à PCE à partir de ses côtes, et en supposant que le problème des contentieux territoriaux en mer de Chine du Sud soit résolu un jour, la Chine ne pourrait pas décréter unilatéralement ce droit à PCE. Il lui faudrait d’abord en discuter avec ceux des pays dont les propres PCE viendraient jouxter le sien, que les parties s’accordent ensuite entre elles avant de présenter leurs revendications devant l’organe ad hoc de l’ONU, soit la Commission des Limites du Plateau continental (CLCS) de l’Organisation des Nations-Unies, comme l’ont déjà fait la Malaisie et le Vietnam les 6 et 7 mai 2009.

Au total ce n’est pas parce que Ma Xinmin a ainsi présenté l’administration des quatre « sha » à ses auditeurs qu’il faut la prendre comme telle et se laisser embrouiller par les arcanes de la pensée chinoise. Le fait que dans sa présentation il n’ait pas mentionné le tracé en neuf / dix traits, soit comme existant encore, soit en voie de disparition, ne signifie en aucun cas que les Chinois soient sur le point d’abandonner cette ligne arbitraire. Pour l’heure elle est là, toujours bien là, comme en témoigne la nouvelle agressivité que Pékin développe pour faire valoir des droits invalides sur la périphérie de la « langue de buffle ». Il ne faut cependant pas, malgré tout, éluder l’hypothèse selon laquelle la présentation de Ma Xinmin pourrait constituer le signal faible de ce qui, ultérieurement, pourrait évoluer, soit par amplification du concept, soit par extinction parce qu’il aura été un peu trop vite mal interprété.

Par le Général (2s) Daniel Schaeffer
, ancien attaché de défense en Thaïlande, Vietnam et Chine — Etudes risques Extrême-Orient — Membre du groupe de réflexions Asie21.

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Notes :
(*) Les Chinois parlent de la stratégie du chou (cabbage strategy en anglais) que l’on défait feuille par feuille, ce qui peut se traduire par grignotage ou prise de gages successifs, actes graves mais insuffisants en termes d’ampleur pour provoquer un acte de guerre. C’est une façon de gagner du terrain en presque toute impunité.
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Cette article a été publié en premier sur le site Asie21, repris et remis en forme ici avec l’autorisation de l’auteur et de l’Asie21.

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