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Porte-Avion Charles de Gaulle en exercices navals avec ses alliés dans le Pacifique. Crédit photo © US-Navy

Les enjeux internationaux en Mer de Chine méridionale. Entretien avec Antoine Bondaz

#Mers de Chine. Le 23 novembre 2019 était organisé par les Ambassadeurs de la Jeunesse, une conférence sur les enjeux internationaux en Mers de Chine méridionale et orientale. Espace stratégique pour ses enjeux sécuritaires et commerciaux, la Mer de Chine méridionale demeure à ce jour une zone de conflictualité nourrie par la rivalité sino-américaine et les revendications territoriales soutenues par l’ensemble des pays riverains.  Entretien avec Antoine Bondaz, chercheur pour la Fondation de la Recherche Stratégique qui réalise un état des lieux des derniers développements du conflit en cours.

Maintenant que la Chine populaire a obtenu une certaine prépondérance militaire par la construction de bases sur les îlots artificiels qu’elle occupe, quels sont désormais les objectifs de Pékin en Mer de Chine méridionale ?

La question qui se pose indirectement est : est-ce que la Chine est dans une logique expansionniste ou pas ?

Il est difficile de dire aujourd’hui que la Chine est dans une logique expansionniste puisque ses revendications territoriales ne sont pas en train de s’accroître. En réalité, la grande différence est que la Chine a désormais les moyens de défendre ce qu’elle considère comme son intérêt national et ses revendications légitimes. Il peut avoir bien entendu un débat sur la légitimité de ces revendications. Quoiqu’il en soit, la Chine est en train de renforcer sa politique étrangère et de sécurité. En cela l’artificialisation puis la militarisation des ilots sont emblématiques : c’est quelque chose que la Chine ne pouvait pas faire il y a 20 ans, car elle n’avait pas les capacités techniques pour le faire.

La prochaine étape de la stratégie de la République Populaire de Chine est une grande question : l’inquiétude est que le renforcement de ses capacités en Mer de Chine méridionale complique de plus en plus les capacités d’interventions militaires des États-Unis en cas de conflit. Par conflit, on pense soit à un incident qui pourrait dégénérer, soit un affrontement pour Taiwan.

Et cela, des points de vue américains et européens, ce sont de vraies questions. Notamment, pour les États-Unis, intervenir sur un théâtre de conflit est une priorité.  Ce que la Chine populaire entrave par la mise en place d’une stratégie de déni d’accès de plus en plus conséquente.

 

Certains experts ont pourtant déclaré que, dans l’hypothèse de l’éclatement d’un conflit de haute intensité, les iles artificielles construites par la Chine Populaire seraient très vulnérables et n’auront pour ainsi dire pas d’intérêt militaire. Quelle est votre opinion dessus ?

Évidemment ces ilots sont extrêmement vulnérables à des frappes de précisions américaines. Mais il convient d’analyser ce qui passe dans le temps long. L’objectif de la Chine n’est pas forcément de rendre ces ilots invulnérables : il s’agit d’accroitre le coût pour les États-Unis d’un conflit en Mer de Chine méridionale afin de les dissuader d’intervenir. L’objectif n’est pas tant de gagner une guerre dans la région, mais d’essayer de ralentir, de limiter, d’empêcher une intervention américaine. C’est dans cette perspective que les ilots de Mer de Chine représentent un intérêt et un objectif important.

 

Une des réponses à l’activisme de la Chine populaire en Mer de Chine méridionale a été la mise en œuvre des « opérations de liberté de navigation » (FONOPS en anglais) par la Marine américaine. Ces opérations n’ont pourtant pas pu empêcher la militarisation des îles de Mer de Chine méridionale. Quel bilan peut-on faire de leur efficacité réelle ?

Est-ce que les FONOPS ont pour objectif d’empêcher la militarisation des iles en Mer de Chine Méridionale par la Chine ?  Si c’était le cas, ça serait un échec. L’objectif d’une FONOPS est de défendre l’interprétation américaine du droit international et notamment l’idée que des navires de guerre peuvent passer et transiter librement dans les eaux internationales.

Les FONOPS ne concernent pas les eaux territoriales d’un pays, c’est-à-dire à l’intérieur des 12 miles nautiques par rapport au littoral. Il s’agit de passages dans les eaux internationales et les espaces contestés.

Les FONOPS n’ont d’ailleurs pas lieu uniquement en Mer de Chine méridionale, il s’en déroule dans les Caraïbes, chez des pays alliés comme l’Australie.

La France réalise également de telles opérations de liberté de navigation. Pour sa participation aux dialogues de Shangri-La, forum de sécurité se tenant annuellement à Singapour, Florence Parly, ministre des Armées, était venue accompagnée du porte-avion Charles de Gaulle.

Quand vous venez faire un discours avec un porte-avion, cela envoie un message de crédibilité et cela est aussi important pour renforcer la coopération. Toutes les Marines de la région étaient présentes à Shangri-La et ils sont venues visiter le Charles de Gaulle.

L’hypothèse d’un passage du Charles de Gaulle en Mer de Chine méridionale ou par le détroit de Taiwan avait été aussi évoquée par le ministère des Armées. Possible légalement, elle n’a finalement pas été retenue.

Les FONOPS ne vont pas dissuader la Chine de militariser ses îles artificielles. Mais s’il est important d’avoir des déclarations politiques sur le principe de liberté de navigation, il faut les appuyer, les crédibiliser par le passage de navires militaires.

 

En raison du déséquilibre des forces avec Pékin, on observe dans la politique étrangère de plusieurs pays comme les Philippines et la Malaisie une certaine tendance à l’accommodement envers la Chine populaire. Est-ce les prémices d’un accommodement général de l’Asie du Sud-Est avec Pékin ?

Parmi les pays d’Asie du Sud-Est, les stratégies mises en œuvre sont différentes en fonction des politiques intérieures et des évolutions des rapports de force.

Les Philippines considèrent qu’elles n’ont pas les capacités de faire face à la Chine. Ce qui est différent du Vietnam. Le Vietnam est un pays économiquement plus solide que les Philippines et il dispose d’une armée et d’une marine plus importante.

Le grand risque, c’est évidemment avec cet écart de puissance qui s’accroît que l’ensemble des pays de la région s’aligne sur la Chine. Et là, ce n’est plus une logique d’accommodement, mais d’alignement où l’on irait, c’est évidemment la crainte américaine.

D’un autre côté, il existe quand même des pressions intérieures des opinions publiques au Vietnam et dans d’autres pays. Les populations de ces pays considèrent qu’il ne faut pas abandonner leurs revendications territoriales, que ces revendications sont légitimes et que les gouvernements doivent être là pour les défendre.

C’est une garantie pour que le Vietnam et d’autres pays continuent de considérer comme des problèmes ces différends territoriaux et ne s’alignent pas complètement avec la Chine.

 

Quel est le rôle de la France et de l’Union européenne dans le conflit en Mer de Chine méridionale ? L’Europe est-elle impliquée dans les négociations du Code de Conduite ?

La position de l’Europe sur la Mer de Chine méridionale est assez simple : il y a des revendications croisées, les revendications historiques de la Chine n’ont pas de valeur juridique comme mentionnée par la décision d’arbitrage de La Haye. Et enfin, l’Union européenne et les États membres appellent à une solution pacifique et diplomatique de ces différends territoriaux.

L’Europe est un acteur important en Asie du Sud-Est : une grande partie des sous-marins exportés en en Asie du Sud-Est sont européens. L’Europe de par ses intérêts, de son implication dans le marché de l’armement et de ses accords bilatéraux a non seulement des intérêts, mais un rôle à jouer. La question est plus de comment agir ensemble à l’échelle européenne. La France et La Grande-Bretagne ont une avance historique sur ce point.

La position de la France a été décrite dans le discours du président Macron à la conférence des ambassadeurs de cette année.

La France entend mettre en œuvre sa politique à travers la politique européenne et appelle à une position de l’Europe sur ces questions en Asie. Elle met en valeurs ses partenaires principaux dans la zone, l’Inde et l’Australie, partenaires et débouchés importants des ventes d’armes, le Japon avec lesquels de nombreuses coopérations sont mises en œuvre. D’autres pays sont mis en avant :  Singapour et l’Indonésie. L’Indonésie est un archipel important avec lequel la France veut élever ses relations. Singapour est historiquement l’objet de partenariats qui touchent même désormais le domaine de recherche et développement.

Est-ce qu’aujourd’hui les Européens ont un rôle de médiation directe dans les négociations du Code de Conduite ? Je ne le pense pas.

L’Union européenne voudrait qu’il y ait une solution politique et potentiellement juridique : le droit international et son respect doivent rester une priorité européenne. Or cet aspect juridique du conflit n’a pas été suffisamment exploité et utilisé par l’Europe.

En effet, on a vu ces dernières années, la Chine utiliser de plus en plus l’argument juridique dans ses revendications territoriales, et ses droits « historiques » lorsqu’elle a essayé de contrer la décision de la Cour d’arbitrage de La Haye en faveur des Philippines. On a eu tendance à ne pas voir venir ce recours au juridique, la Chine ne faisait pas cela il y a dix ans, c’est une évolution. Or il faut prendre cela en compte à une époque où le droit international n’est pas donné. La Chine a des interprétations qui peuvent être différentes des nôtres et il faut défendre nos visions.

Par Pham Quang

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Mini-bio : Antoine Bondaz est chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique et dirige le FRS-KF Programme Corée sur la sécurité et la diplomatie. Ses recherches portent principalement sur la politique étrangère et de sécurité de la Chine et des deux Corées, et les questions stratégiques en Asie de l’Est.

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La rédaction d’Asie Pacifique News remercie les Ambassadeurs de la Jeunesse pour les aides apportées dans la réalisation de cet entretien.

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