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L'ère Meiji a symbolisé l'ouverture du Japon au monde et l'essor de l'économie japonaise. C'est d'un nouveau mouvement d'ouverture aux investisseurs étrangers et à l'immigration qu'a besoin le Japon, faute de quoi les Abenomics risquent d'échouer. Photo : Wikimedia Commons Crédits : Wikimedia Commons

Japon : Investissements japonais en Asie – Évolution et perspective. Par Yo-Jung Chen

Le Japon de 2017 redevient une puissance régionale. Pas seulement en économie — déjà la troisième mondiale. Dans le brouillard de l’incertitude de la diplomatie américaine actuelle en Asie-Pacifique, sous la pression des agissements maritimes agressifs de la Chine et des tensions dans la péninsule coréenne, le Japon se mue aussi en puissance géopolitique, diplomatique et militaire. Ainsi, Tokyo compte désormais sur son continent pour servir de socle de son ambition. Et pas seulement l’Asie, Shinzo Abe, depuis son arrivée à la tête de l’exécutif, entreprend aussi des investissements massifs en Afrique. L’histoire de ne pas laisser le terrain libre à Pékin !

Les relations économiques du Japon avec ses voisins en Asie sont dominées par une histoire de conquêtes militaires, de colonisation brutale, de réparations d’après-guerre, d’aides économiques, de corruptions, d’investissements massifs, et d’interdépendance.

Avant 1945 : Conquête coloniale

Avant et pendant la dernière guerre mondiale, le Japon impérial, avide de rattraper les puissances coloniales occidentales et soif en ressources énergétiques, a entrepris de conquérir une grande partie de la Chine et de l’Asie du Sud-Est. Tel un nouveau riche tentant de se faire admettre dans le club des Grands, la nouvelle puissance industrielle asiatique était impatiente d’avoir sa part du gâteau colonial sur le modèle des puissances occidentales.

Le Japon impérial prétendait alors libérer l’ensemble de l’Asie des longues années de domination coloniale occidentale. Cette motivation n’était pas tout si surprenante car, depuis sa modernisation à l’occidentale en 1868, laquelle lui a permis d’échapper à la vague de colonisation occidentale qui rognait l’ensemble de Asie, plusieurs penseurs nippons modernes avaient professé la cause, somme toute noble, d’aider le reste de l’Asie à se libérer de l’emprise coloniale européenne.

Malheureusement, leurs thèses étaient récupérées par le pouvoir militariste de l’époque pour justifier la conquête de l’ensemble de l’Asie dans le but non avoué de s’emparer des ressources naturelles qui manquaient cruellement au Japon nouvellement industrialisé. En fait, ce que l’empire nippon a fait en Asie était simplement de remplacer la colonisation occidentale par une colonisation certes asiatique mais de loin plus inhumaine et brutale, faisant des millions de morts dans les pays « libérés ».

Après 1945 : réparations et aides économiques

Suite à sa défaite écrasante en 1945 et sous l’impulsion de l’occupant américain, l’empire impérialiste et militariste, s’est reconvertit, presque du jour au lendemain, en démocratie pacifiste.

Au fur et à mesure que cette nouvelle démocratie se redresse de ses cendres, une des premières missions qu’elle s’est imposée était d’entreprendre de réparer les dégâts et les destructions que le Japon impérial avait infligé partout en Asie.

Il a fallu attendre la signature en 1952 à San Francisco d’un Traité de Paix avec 45 pays, permettant au Japon de récupérer sa souveraineté nationale et d’entame son retour dans la communauté des nations, pour voir se démarrer véritablement les opérations de réparations.

Vis-à-vis de la Chine devenue entretemps communiste, c’est à partir de 1979 que commença ce « dédommagement » sous la forme d’Aide Publique au Développement (APD, « ODA » en anglais). Curieusement, cette APD se poursuit encore de nos jours alors que la Chine a depuis 2010 dépassé le Japon en PIB pour s’imposer comme la 2ème économie du monde. Même si le montant de cette « aide officielle » pour la Chine s’est sensiblement réduit, le fait de voir la 3ème économie du monde continuer à « aider » publiquement la 2ème économie, laquelle en plus est son « ennemi présumé » dans des litiges territoriales, suscite polémique et interrogations dans les deux pays.

Pour l’Asie du Sud-Est, les réparations japonaises — aux montants et aux formes différents selon les pays — ont démarré en 1955, et ont finalement atteint un total de 1 012 milliards de dollars.

Lorsque l’opération des réparations pour l’Asie a officiellement pris fin en 1976, le gouvernement du Japon, redevenu puissance économique entretemps, a continué son aide aux pays d’Asie sous forme d’APD. Celle-ci a contribué à réintroduire les entreprises japonaises sur le marché sud-est asiatique, à faciliter leurs investissements et à faire rapidement de l’Asie — la Chine depuis son ouverture dans les années 1978 — un marché par excellence des produits et des investissements directs japonais.

Il faut cependant noter que les marchés lucratifs — infrastructure, usines, etc. — liés à l’APD japonaise engendrent de fréquents cas de corruption dans les pays bénéficiaires, ayant incriminé des fonctionnaires et politiciens locaux et japonais ainsi que des entreprises nippones soucieuses de se voir attribuées ces marchés.

Depuis les années 1960, avec le Japon désormais lancé sur sa croissance fulgurante, les activités outre-mer des entreprises japonaises se sont davantage étendues pour atteindre l’Océanie — Australie, Nouvelle Zélande — et l’Amérique, couvrant ainsi l’ensemble de l’Asie-Pacifique.

Point sur les investissements en Chine

Depuis son ouverture en 1978, la Chine a toujours été une destination indispensable d’implantations et d’investissements pour les entreprises japonaises.

Les investissements nippons dans ce pays ont commencé sous forme de coopération industrielle et de transferts de technologie. Dans les années 1980, les Japonais ont évolué vers des investissements directs en Chine, une tendance qui s’est accélérée dans les années 1990 avec la politique chinoise d’encourager l’introduction de capitaux étrangers. Malgré la crise financière mondiale de 2008, les investissements nippons en Chine se sont poursuivis en focalisant non plus uniquement sur la production, mais désormais sur la consommation dans un pays en pleine évolution de « l’usine du monde » vers « le marché du monde ».

Selon les statistiques chinoises, les investissements japonais en Chine en 2015 se sont établis à 3,21 milliards de dollars, soit une baisse de 25,2% sur l’année précédente. Cette baisse consécutive sur trois années témoignent de nouvelles difficultés d’investir en Chine : le ralentissement de la croissance chinoise, les hausses salariales successives et, dans le cas particulier des Japonais, les risques politiques ont engendré chez les investisseurs nippons un mouvement d’ « exode de la Chine ».

En fait, les relations sino-japonaises ont toujours été marquées par d’éternelles querelles émotionnelles sur l’interprétation de l’histoire récente des agressions japonaises en Chine et par une litige territoriale en Mer de Chine orientale. En 2014, des émeutes nationalistes antijaponaises violentes ont éclaté partout en Chine, faisant des dégâts matériels sérieux à des installations commerciales et manufacturières japonaises en Chine. La panique conséquente a poussé de nombreuses entreprises nippones à « s’évader » de la Chine en transférant leurs investissements vers l’Asie du Sud-Est considérée moins hostile au Japon.

A cela s’ajoutent le ralentissement de la croissance chinoise, les hausses salariales successives — le salaire minimum en Chine a augmenté de 23,9 % en 2010, +13% en 2011, — la baisse de la population active, la pollution rampante, etc. S’y ajoutent aussi les difficultés quotidiennes de faire les affaires dans un pays géant où sévit la corruption et où, selon un responsable japonais exaspéré, « le drapeau est communiste, la politique est socialiste, la pratique est libérale et le tissue social est féodal ».

Ceci dit, avec sa nouvelle classe moyenne au niveau de vie toujours plus élevé, la Chine, désormais « marché de consommation » géant, demeure toujours trop attrayant pour que les Japonais y perdent complètement intérêt, sachant, en plus, que les produits japonais y bénéficient d’une réputation particulièrement bonne pour leur qualité et fiabilité.

Avec les émeutes antijaponaises désormais un mauvais souvenir du passé, les investisseurs japonais continuent donc à rester en Chine. Mais au lieu de se limiter à la Chine comme dans le passé, les plus prudents d’entre eux pratiquent dorénavant la règle de « Chine + 1 », c’est-à-dire investir en Chine mais aussi ailleurs « en plus de la Chine », le plus généralement en Asie du Sud-Est. On ne sait jamais…

Par ailleurs, soucieuses de contourner les difficultés inhérentes au monde des affaires en Chine, un nombre croissant d’entreprises japonaises recourent ces derniers temps au partenariat avec des homologues de Taiwan. En fait, de par le statut spécial de Taiwan vis-à-vis de la Chine, ses investisseurs y bénéficient d’un régime particulier de faveur comme « quasi-compatriotes ». Sur le plan culturel de toute façon, les Taïwanais, qui sont « chinois » après tout, sont à l’aise avec les coutumes d’affaires propres à la Chine.

Investissements en Asie du Sud-Est

C’est en 1973, avec la création du Forum Japon-Asean de caoutchouc synthétique, que les investissements privés japonais ont véritablement « décollé » en Asie du Sud-Est. Depuis, les relations économiques n’ont cessé de s’approfondir grâce à la proximité géographique mais aussi à la stabilité politique et à la main-d’œuvre bon marché qu’offre la région.

En 2016, 11.328 entreprises japonaises sont implantées dans les pays de l’ASEAN, dont 4788 en Thaïlande, 2821 à Singapour, 2527 au Vietnam, 2021 en Indonésie. 70% de ces entreprises sont dans le secteur de la transformation et de vente en gros, avec une augmentation rapide du secteur tertiaire et des PME. De fait, l’ASEAN est devenu la nouvelle frontière de l’économie japonaise.

Même si la Thaïlande accueille le plus grand nombre d’entreprises japonaises, le Vietnam se distingue par la rapidité de la croissance des investissements japonais lesquels ont cru de 63,9% entre 2012 et 2015 dans ce pays. Et selon un sondage mené en 2014 auprès des entreprises japonaises, le Vietnam est considéré le pays le plus promettant au monde comme point de production.

Depuis sa démocratisation en 2011, la Birmanie fait l’objet de convoitise croissante des investisseurs japonais comme « dernière frontière » de la région. Mais le nombre d’entreprises nippones qui y investissent est limité — 286 — par l’état encore médiocre de l’infrastructure du pays.

Perspective et conclusion

71 ans après la fin de la guerre mondiale, le Japon et l’Asie sont aujourd’hui des partenaires économiques indispensables.

Même si la tension politique bilatérale constitue toujours un facteur d’instabilité avec la Chine, les investisseurs japonais ne peuvent pas pour ainsi se permettre d’abandonner ce marché géant qui enregistre toujours l’une des meilleures croissances du monde en dépit d’un ralentissement récent.

Pour ce qui concerne l’Asie du Sud-Est, le sondage de 2014 mentionné ci-dessus montre que 5 des 10 pays de l’ASEAN — dont le Vietnam en tête — figurent, aux yeux des entreprises nippones, parmi les 10 meilleurs pays du monde pour implanter des points de production.

Le lancement fin 2015 de la Communauté Economique de l’ASEAN (AEC) a servi de nouveau détonateur à un mouvement d’investissements japonais entamé depuis 1973 dans cette région. La communauté économique de 600 millions d’habitants, au PDB de 2 trillions de dollars et au volume de transactions intra-communautaires de 2,1 trillions de dollars, sans parler de la qualité élevée de sa main-d’œuvre bon marché, constitue pour le Japon un marché très séduisant.

Alors que les implantations japonaises avaient tendance à se concentrer sur certains pays comme la Thaïlande et le Singapour, la création de l’AEC va permettre une diversification de ces investissements vers d’autres pays moins développés de la communauté.

Enfin, l’élection de Donald Trump à la présidence américaine risque d’apporter un nouvel élément d’inquiétude aux investisseurs japonais. Le nouveau président américain est connu pour avoir « forcé » des entreprises de toutes nationalités — dont les constructeurs d’automobiles japonais — à abandonner leurs points de production au Mexique pour les transférer aux Etats-Unis. Si cela continue, ne va-t-il pas un jour obliger les Japonais à transférer leurs investissements de l’Asie vers les Etats-Unis, sous peine de lourds tarifs à l’importation vers l’Amérique ?

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